Voltaire Contes en vers et en prose I Le Crocheteur borgne Nos deux yeux ne rendent pas notre condition meilleure; l'un nous sert à voir les biens, et l'autre les maux de la vie; bien des gens ont la mauvaise habitude de fermer le premier, et bien peu ferment le second; voilà pourquoi il y a tant de gens qui aimeraient mieux être aveugles que de voir tout ce qu'ils voient. Heureux les borgnes qui ne sont privés que de ce mauvais oeil qui gâte tout ce qu'on regarde! Mesrour en est un exemple. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que Mesrour était borgne. Il l'était de naissance, mais c'était un borgne si content de son état qu'il ne s'était jamais avisé de désirer un autre oeil. Ce n'étaient point les dons de la fortune qui le consolaient des torts de la nature, car il était simple crocheteur, et n'avait d'autre trésor que ses épaules; mais il était heureux, et il montrait qu'un oeil de plus et de la peine de moins contribuent bien peu au bonheur l'argent et l'appétit lui venaient toujours en proportion de l'exercice qu'il faisait; il travaillait le matin, mangeait et buvait le soir, dormait la nuit, et regardait tous ses jours comme autant de vies séparées, en sorte que le soin de l'avenir ne le troublait jamais dans la jouissance du présent. Il était comme vous le voyez tout à la fois borgne, crocheteur et philosophe. Il vit par hasard passer dans un char brillant une grande princesse qui avait un oeil de plus que lui, ce qui ne l'empêcha pas de la trouver fort belle; et, comme les borgnes ne diffèrent des autres hommes qu'en ce qu'ils ont un oeil de moins, il en devint éperdument amoureux. On dira peut-être que, quand on est crocheteur et borgne, il ne faut point être amoureux, surtout d'une grande princesse, et, qui plus est, d'une princesse qui a deux yeux. Je conviens qu'on a bien à craindre de ne pas plaire; cependant, comme il n'y a point d'amour sans espérance, et que notre crocheteur aimait, il espéra. Comme il avait plus de jambes que d'yeux, et qu'elles étaient bonnes, il suivit l'espace de quatre lieues le char de sa déesse, que six grands chevaux blancs traÃnaient avec une grande rapidité. La mode dans ce temps-là , parmi les dames, était de voyager sans laquais et sans cocher, et de se mener elles-mêmes; les maris voulaient qu'elles fussent toujours toutes seules afin d'être plus sûrs de leur vertu, ce qui est directement opposé au sentiment des moralistes, qui disent qu'il n'y a point de vertu dans la solitude. Mesrour courait toujours à côté des roues du char, tournant son bon oeil du côté de la dame, qui était étonnée de voir un borgne de cette agilité. Pendant qu'il prouvait ainsi qu'on est infatigable pour ce qu'on aime, une bête fauve, poursuivie par des chasseurs, traversa le grand chemin et effraya les chevaux, qui, ayant pris le mors aux dents, entraÃnaient la belle dans un précipice. Son nouvel amant, plus effrayé encore qu'elle, quoiqu'elle le fût beaucoup, coupa les traits avec une adresse merveilleuse. Les six chevaux blancs firent seuls le saut périlleux, et la dame, qui n'était pas moins blanche qu'eux, en fut quitte pour la peur. "Qui que vous soyez, lui dit-elle, je n'oublierai jamais que je vous dois la vie; demandez-moi tout ce que vous voudrez; tout ce que j'ai est à vous. - Ah! je puis avec bien plus de raison, répondit Mesrour, vous en offrir autant; mais, en vous l'offrant, je vous en offrirai toujours moins car je n'ai qu'un oeil, et vous en avez deux; mais un oeil qui vous regarde vaut mieux que deux yeux qui ne voient point les vôtres." La dame sourit, car les galanteries d'un borgne sont toujours des galanteries; et les galanteries font toujours sourire. "Je voudrais bien pouvoir vous donner un autre oeil, lui dit-elle, mais votre mère pouvait seule vous faire ce présent-là ; suivez-moi toujours." A ces mots elle descend de son char et continue sa route à pied; son petit chien descendit aussi, et marchait à pied à côté d'elle, aboyant après l'étrangère figure de son écuyer. J'ai tort de lui donner le titre d'écuyer, car il eut beau offrir son bras, la dame ne voulut jamais l'accepter, sous prétexte qu'il était trop sale; et vous allez voir qu'elle fut la dupe de sa propreté. Elle avait de fort petits pieds, et des souliers encore plus petits que ses pieds, en sorte qu'elle n'était ni faite ni chaussée de manière à soutenir une longue marche. De jolis pieds consolent d'avoir de mauvaises jambes, lorsqu'on passe sa vie sur une chaise longue au milieu d'une foule de petits-maÃtres; mais à quoi servent des souliers brodés en paillettes dans un chemin pierreux, où ils ne peuvent être vus que par un crocheteur, et encore par un crocheteur qui n'a qu'un oeil? Mélinade c'est le nom de la dame, que j'ai eu mes raisons pour ne pas dire jusqu'ici, parce qu'il n'était pas encore fait avançait comme elle pouvait, maudissant son cordonnier, déchirant ses souliers, écorchant ses pieds et se donnant des entorses à chaque pas. Il y avait environ une heure et demie qu'elle marchait du train des grandes dames, c'est-à -dire qu'elle avait déjà fait près d'un quart de lieue, lorsqu'elle tomba de fatigue sur la place. Le Mesrour, dont elle avait refusé les secours pendant qu'elle était debout, balançait à les lui offrir, dans la crainte de la salir en la touchant car il savait bien qu'il n'était pas propre, la dame le lui avait assez clairement fait entendre, et la comparaison qu'il avait faite en chemin entre lui et sa maÃtresse le lui avait fait voir encore plus clairement. Elle avait une robe d'une légère étoffe d'argent, semée de guirlandes de fleurs, qui laissait briller la beauté de sa taille; et lui avait un sarrau brun, taché en mille endroits, troué et rapiécé en sorte que les pièces étaient à côté des trous, et point dessus, où elles auraient pourtant été plus à leur place; il avait comparé ses mains nerveuses et converties en durillons avec deux petites mains plus blanches et plus délicates que les lis; enfin il avait vu les beaux cheveux blonds de Mélinade, qui paraissaient à travers un léger voile de gaze, relevés les uns en tresse et les autres en boucles, et il n'avait à mettre à côté de cela que des crins noirs, hérissés, crépus, et n'ayant pour tout ornement qu'un turban déchiré. Cependant Mélinade essaie de se relever, mais elle retombe bientôt, et si malheureusement que ce qu'elle laissa voir à Mesrour lui ôta le peu de raison que la vue du visage de la princesse avait pu lui laisser. Il oublia qu'il était crocheteur, qu'il était borgne, et il ne songea plus à la distance que la fortune avait mise entre Mélinade et lui; à peine se souvint-il qu'il était amant, car il manqua à la délicatesse qu'on dit inséparable d'un véritable amour, et qui en fait quelquefois le charme et plus souvent l'ennui; il se servit des droits que son état de crocheteur lui donnait à la brutalité, il fut brutal et heureux. La princesse alors était sans doute évanouie, ou bien elle gémissait sur son sort; mais, comme elle était juste, elle bénissait sûrement le destin de ce que toute infortune porte avec elle sa consolation. La nuit avait étendu ses voiles sur l'horizon, et elle cachait de son ombre le véritable bonheur de Mesrour, et les prétendus malheurs de Mélinade; Mesrour goûtait les plaisirs des parfaits amants, et il les goûtait en crocheteur c'est-à -dire à la honte de l'humanité de la manière la plus parfaite; les faiblesses de Mélinade lui reprenaient à chaque instant, et à chaque instant son amant reprenait des forces. "Puissant Mahomet, dit-il une fois en homme transporté, mais en mauvais catholique, il ne manque à ma félicité que d'être sentie par celle qui la cause; pendant que je suis dans ton paradis, divin prophète, accorde-moi encore une faveur, c'est d'être aux yeux de Mélinade ce qu'elle serait à mon oeil s'il faisait jour." Il finit de prier, et continua de jouir. L'aurore, toujours trop diligente pour les amants, surprit Mesrour et Mélinade dans l'attitude où elle aurait pu être surprise elle-même un moment auparavant avec Tithon. Mais quel fut l'étonnement de Mélinade quand, ouvrant les yeux aux premiers rayons du jour, elle se vit dans un lieu enchanté, avec un jeune homme d'une taille noble, dont le visage ressemblait à l'astre dont la terre attendait le retour! Il avait des joues de rose, des lèvres de corail; ses grands yeux tendres et vifs tout à la fois exprimaient et inspiraient la volupté; son carquois d'or, orné de pierreries, était suspendu à ses épaules, et le plaisir faisait seul sonner ses flèches; sa longue chevelure, retenue par une attache de diamants, flottait librement sur ses reins, et une étoffe transparente, brodée de perles, lui servait d'habillement, et ne cachait rien de la beauté de son corps. "Où suis-je, et qui êtes-vous? s'écria Mélinade dans l'excès de sa surprise. - Vous êtes, répondit-il, avec le misérable qui a eu le bonheur de vous sauver la vie et qui s'est si bien payé de ses peines." Mélinade, aussi aise qu'étonnée, regretta que la métamorphose de Mesrour n'eût pas commencé plus tôt. Elle s'approche d'un palais brillant qui frappait sa vue, et lit cette inscription sur la porte "Eloignez-vous, profanes; ces portes ne s'ouvriront que pour le maÃtre de l'anneau." Mesrour s'approche à son tour pour lire la même inscription; mais il vit d'autres caractères, et lut ces mots "Frappe sans crainte." Il frappa, et aussitôt les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes avec un grand bruit. Les deux amants entrèrent, au son de mille voix et de mille instruments, dans un vestibule de marbre de Paros; de là ils passèrent dans une salle superbe, où un festin délicieux les attendait depuis douze cent cinquante ans, sans qu'aucun des plats fût encore refroidi ils se mirent à table et furent servis chacun par mille esclaves de la plus grande beauté; le repas fut entremêlé de concerts et de danses; et, quand il fut fini, tous les génies vinrent dans le plus grand ordre, partagés en différentes troupes, avec des habits aussi magnifiques que singuliers, prêter serment de fidélité au maÃtre de l'anneau, et baiser le doigt sacré auquel il le portait. Cependant, il y avait à Bagdad un musulman fort dévot qui, ne pouvant aller se laver dans la mosquée, faisait venir l'eau de la mosquée chez lui, moyennant une légère rétribution qu'il payait au prêtre. Il venait de faire la cinquième ablution, pour se disposer à la cinquième prière, et sa servante, jeune étourdie très peu dévote, se débarrassa de l'eau sacrée en la jetant par la fenêtre. Elle tomba sur un malheureux endormi profondément au coin d'une borne qui lui servait de chevet. Il fut inondé, et s'éveilla. C'était le pauvre Mesrour, qui, revenant de son séjour enchanté, avait perdu dans son voyage l'anneau de Salomon. Il avait quitté ses superbes vêtements, et repris son sarrau; son beau carquois d'or était changé en crochets de bois, et il avait, pour comble de malheur, laissé un de ses yeux en chemin. Il se ressouvint alors qu'il avait bu la veille une grande quantité d'eau-de-vie qui avait assoupi ses sens et échauffé son imagination. Il avait jusque-là aimé cette liqueur par goût, il commença à l'aimer par reconnaissance, et il retourna avec gaieté à son travail, bien résolu d'en employer le salaire à acheter les moyens de retrouver sa chère Mélinade. Un autre se serait désolé d'être un vilain borgne, après avoir eu deux beaux yeux; d'éprouver les refus des balayeuses du palais, après avoir joui des faveurs d'une princesse plus belle que les maÃtresses du calife, et d'être au service de tous les bourgeois de Bagdad, après avoir régné sur tous les génies; mais Mesrour n'avait point l'oeil qui voit le mauvais côté des choses. Le Cocuage Jadis Jupin, de sa femme jaloux, Par cas plaisant fait père de famille, De son cerveau fit sortir une fille, Et dit "Du moins celle-ci vient de nous". Le bon Vulcain, que la cour éthérée Fit pour ses maux époux de Cythérée, Voulait avoir aussi quelque poupon Dont il fût sûr, et dont seul il fût père Car de penser que le beau Cupidon, Que les Amours, ornements de Cythère, Qui, quoique enfants, enseignent l'art de plaire, Fussent les fils d'un simple forgeron, Pas ne croyait avoir fait telle affaire. De son vacarme il remplit la maison; Soins et soucis son esprit tenaillèrent; Soupçons jaloux son cerveau martelèrent. A sa moitié vingt fois il reprocha Son trop d'appas, dangereux avantage. Le pauvre dieu fit tant qu'il accoucha Par le cerveau de quoi? de Cocuage. C'est là ce dieux révéré dans Paris, Dieu malfaisant, le fléau des maris. Dès qu'il fut né, sur le chef de son père Il essaya sa naissante colère Sa main novice imprima sur son front Les premiers traits d'un éternel affront. A peine encore eut-il plume nouvelle Qu'au bon Hymen il fit guerre immortelle Vous l'eussiez vu, l'obsédant en tous lieux, Et de son bien s'emparant à ses yeux, Se promener de ménage en ménage, Tantôt porter la flamme et le ravage, Et des brandons allumés dans ses mains Aux yeux de tous éclairer ses larcins; Tantôt, rampant dans l'ombre et le silence, Le front couvert d'un voile d'innocence, Chez un époux le matois introduit Faisait son coup sans scandale et sans bruit. La Jalousie, au teint pâle et livide, Et la Malice, à l'oeil faux et perfide, Guident ses pas où l'Amour le conduit; Nonchalamment la Volupté le suit. Pour mettre à bout les maris et les belles, De traits divers ses carquois sont remplis Flèches y sont pour le coeur des cruelles; Cornes y sont pour le front des maris. Or, ce dieu-là , malfaisant ou propice, Mérite bien qu'on chante son office; Et, par besoin ou par précaution, On doit avoir à lui dévotion, Et lui donner encens et luminaire. Soit qu'on épouse ou qu'on n'épouse pas, Soit que l'on fasse ou qu'on craigne le cas, De sa faveur on a toujours à faire. O vous, Iris, que j'aimerai toujours, Quand de vos voeux vous étiez la maÃtresse, Et qu'un contrat, trafiquant la tendresse, N'avait encore asservi vos beaux jours, Je n'invoquais que le dieu des amours Mais à présent, père de la tristesse, L'Hymen, hélas! vous a mis sous sa loi; A Cocuage il faut que je m'adresse C'est le seul dieu dans qui j'ai de la foi. Le Cadenas Je triomphais; l'Amour était le maÃtre, Et je touchais à ces moments trop courts De mon bonheur, et du vôtre peut-être. Mais un tyran veut troubler nos beaux jours; C'est votre époux. Geôlier sexagénaire, Il a fermé le libre sanctuaire De vos appas; et, trompant nos désirs, Il tient la clef du séjour des plaisirs. Pour éclaircir ce douloureux mystère, D'un peu plus haut reprenons cette affaire. Vous connaissez la déesse Cérès Or en son temps Cérès eut une fille, Semblable à vous, à vos scrupules près, Brune, piquante, honneur de sa famille, Tendre surtout, et menant à sa cour L'aveugle enfant que l'on appelle Amour. Un autre aveugle, hélas! bien moins aimable, Le triste Hymen, la traita comme vous. Le vieux Pluton, riche autant qu'haïssable, Dans les enfers fut son indigne époux. Il était dieu, mais avare et jaloux Il fut cocu, car c'était la justice. Pirithoüs, son fortuné rival, Beau, jeune, adroit, complaisant, libéral, Au dieu Pluton donna le bénéfice De cocuage. Or ne demandez pas Comment un homme, avant sa dernière heure, Put pénétrer dans la sombre demeure Cet homme aimait, l'Amour guida ses pas. Mais aux enfers, comme aux lieux où vous êtes, Voyez qu'il est peu d'intrigues secrètes! De sa chaudière, un traÃtre d'espion Vit le grand cas, et dit tout à Pluton; Il ajouta que même, à la sourdine, Plus d'un damné festoyait Proserpine. Le dieu cornu dans son noir tribunal Fit convoquer son sénat infernal; Il assembla les détestables âmes De tous ses saints dévolus aux enfers, Qui, dès longtemps en cocuage experts, Pendant leur vie ont tourmenté leurs femmes. Un Florentin lui dit "Frère et seigneur, Pour détourner la maligne influence Dont Votre Altesse a fait l'expérience, Tuer sa dame est toujours le meilleur Mais, las! Seigneur, la vôtre est immortelle. Je voudrais donc, pour votre sûreté, Qu'un cadenas, de structure nouvelle, Fût le garant de sa fidélité A la vertu par la force asservie, Lors vos plaisirs borneront son envie; Plus ne sera d'amant favorisé. Et plût aux dieux que, quand j'étais en vie, D'un tel secret je me fusse avisé!" A ce discours les damnés applaudirent, Et sur l'airain les Parques l'écrivirent. En un moment, feux, enclumes, fourneaux, Sont préparés aux gouffres infernaux; Tisiphoné, de ces lieux serrurière, Au cadenas met la main la première Elle l'achève, et des mains de Pluton Proserpina reçut ce triste don. On m'a conté qu'essayant son ouvrage, Le cruel dieu fut ému de pitié, Qu'avec tendresse il dit à sa moitié "Que je vous plains! vous allez être sage." Or ce secret, aux enfers inventé, Chez les humains tôt après fut porté; Et depuis ce, dans Venise et dans Rome, Il n'est pédant, bourgeois, ni gentilhomme, Qui, pour garder l'honneur de sa maison, De cadenas n'ait sa provision. Là , tout jaloux, sans craindre qu'on le blâme, Tient sous la clef la vertu de sa femme. Or votre époux dans Rome a fréquenté; Chez les méchants on se gâte sans peine, Et le galant vit fort à la romaine; Mais son trésor est-il en sûreté? A ses projets l'Amour sera funeste; Ce dieu charmant sera votre vengeur Car vous m'aimez; et, quand on a le coeur De femme honnête, on a bientôt le reste. Cosi-Sancta Nouvelle africaine C'est une maxime faussement établie qu'il n'est pas permis de faire un petit mal dont un plus grand bien pourrait résulter. Saint Augustin a été entièrement de cet avis, comme il est aisé de le voir dans le récit de cette petite aventure arrivée dans son diocèse, sous le proconsulat de Septimus Acindynus, et rapportée dans le livre de la Cité de Dieu. Il y avait à Hippone un vieux curé, grand inventeur de confréries, confesseur de toutes les jeunes filles du quartier, et qui passait pour un homme inspiré de Dieu, parce qu'il se mêlait de dire la bonne aventure, métier dont il se tirait assez passablement. On lui amena un jour une jeune fille nommée Cosi-Sancta c'était la plus belle personne de la province. Elle avait un père et une mère jansénistes, qui l'avaient élevée dans les principes de la vertu la plus rigide; et de tous les amants qu'elle avait eus, aucun n'avait pu seulement lui causer, dans ses oraisons, un moment de distraction. Elle était accordée depuis quelques jours à un petit vieillard ratatiné, nommé Capito, conseiller au présidial d'Hippone. C'était un petit homme bourru et chagrin, qui ne manquait pas d'esprit, mais qui était pincé dans la conversation, ricaneur, et assez mauvais plaisant; jaloux d'ailleurs comme un Vénitien, et qui pour rien au monde ne se serait accommodé d'être l'ami des galants de sa femme. La jeune créature faisait tout ce qu'elle pouvait pour l'aimer, parce qu'il devait être son mari; elle y allait de la meilleure foi du monde, et cependant n'y réussissait guère. Elle alla consulter son curé, pour savoir si son mariage serait heureux. Le bonhomme lui dit d'un ton de prophète "Ma fille, ta vertu causera bien des malheurs; mais tu seras un jour canonisée pour avoir fait trois infidélités à ton mari." Cet oracle étonna et embarrassa cruellement l'innocence de cette belle fille. Elle pleura; elle en demanda l'explication; croyant que ces paroles cachaient quelque sens mystique; mais toute l'explication qu'on lui donna fut que les trois fois ne devaient point s'entendre de trois rendez-vous avec le même amant, mais de trois aventures différentes. Alors Cosi-Sancta jeta les hauts cris; elle dit même quelques injures au curé, et jura qu'elle ne serait jamais canonisée. Elle le fut pourtant, comme vous l'allez voir. Elle se maria bientôt après la noce fut très galante; elle soutint assez bien tous les mauvais discours qu'elle eut à essuyer, toutes les équivoques fades, toutes les grossièretés assez mal enveloppées dont on embarrasse ordinairement la pudeur des jeunes mariées. Elle dansa de fort bonne grâce avec quelques jeunes gens fort bien faits et très jolis, à qui son mari trouvait le plus mauvais air du monde. Elle se mit au lit auprès du petit Capito, avec un peu de répugnance. Elle passa une fort bonne partie de la nuit à dormir, et se réveilla toute rêveuse. Son mari était pourtant moins le sujet de sa rêverie qu'un jeune homme nommé Ribaldos, qui lui avait donné dans la tête sans qu'elle en sût rien. Ce jeune homme semblait formé par les mains de l'Amour; il en avait les grâces; la hardiesse et la friponnerie; il était un peu indiscret, mais il ne l'était qu'avec celles qui le voulaient bien c'était la coqueluche d'Hippone. Il avait brouillé toutes les femmes de la ville les unes contre les autres, et il l'était avec tous les maris et toutes les mères. Il aimait d'ordinaire par étourderie, un peu par vanité; mais il aima Cosi-Sancta par goût, et l'aima d'autant plus éperdument que la conquête en était plus difficile. Il s'attacha d'abord, en homme d'esprit, à plaire au mari. Il lui faisait mille avances, le louait sur sa bonne mine et sur son esprit aisé et galant. Il perdait contre lui de l'argent au jeu, et avait tous les jours quelque confidence de rien à lui faire. Cosi-Sancta le trouvait le plus aimable du monde; elle l'aimait déjà plus qu'elle ne croyait; elle ne s'en doutait point, mais son mari s'en douta pour elle. Quoiqu'il eût tout l'amour-propre qu'un petit homme peut avoir, il ne laissa pas de se douter que les visites de Ribaldos n'étaient pas pour lui seul. Il rompit avec lui sur quelque mauvais prétexte, et lui défendit sa maison. Cosi-Sancta en fut très fâchée, et n'osa le dire; et Ribaldos, devenu plus amoureux par les difficultés, passa tout son temps à épier les moments de la voir. Il se déguisa en moine, en revendeuse à la toilette, en joueur de marionnettes; mais il n'en fit point assez pour triompher de sa maÃtresse, et il en fit trop pour n'être pas reconnu par le mari. Si Cosi-Sancta avait été d'accord avec son amant, ils auraient si bien pris leurs mesures que le mari n'aurait rien pu soupçonner; mais, comme elle combattait son goût et qu'elle n'avait rien à se reprocher, elle sauvait tout, hors les apparences; et son mari la croyait très coupable. Le petit bonhomme, qui était très colère, et qui s'imaginait que son honneur dépendait de la fidélité de sa femme, l'outragea cruellement, et la punit de ce qu'on la trouvait belle. Elle se trouva dans la plus horrible situation où une femme puisse être accusée injustement, et maltraitée par un mari à qui elle était fidèle, et déchirée par une passion violente qu'elle cherchait à surmonter. Elle crut que, si son amant cessait ses poursuites, son mari pourrait cesser ses injustices, et qu'elle serait assez heureuse pour se guérir d'un amour que rien ne nourrirait plus. Dans cette vue, elle se hasarda d'écrire cette lettre à Ribaldos "Si vous avez de la vertu, cessez de me rendre malheureuse vous m'aimez, et votre amour m'expose aux soupçons et aux violences d'un maÃtre que je me suis donné pour le reste de ma vie. Plût au ciel que ce fût encore le seul risque que j'eusse à courir! Par pitié pour moi, cessez vos poursuites; je vous en conjure par cet amour même qui fait votre malheur et le mien, et qui ne peut jamais vous rendre heureux." La pauvre Cosi-Sancta n'avait pas prévu qu'une lettre si tendre, quoique si vertueuse, ferait un effet tout contraire à celui qu'elle espérait. Elle enflamma plus que jamais le coeur de son amant, qui résolut d'exposer sa vie pour voir sa maÃtresse. Capito, qui était assez sot pour vouloir être averti de tout, et qui avait de bons espions, fut averti que Ribaldos s'était déguisé en frère carme quêteur pour demander la charité à sa femme. Il se crut perdu il imagina que l'habit d'un carme était bien plus dangereux qu'un autre pour l'honneur d'un mari. Il aposta des gens pour étriller frère Ribaldos il ne fut que trop bien servi. Le jeune homme, en entrant dans la maison, est reçu par ces messieurs; il a beau crier qu'il est un très honnête carme, et qu'on ne traite point ainsi de pauvres religieux, il fut assommé, et mourut, à quinze jours de là , d'un coup qu'il avait reçu sur la tête. Toutes les femmes de la ville le pleurèrent; Cosi-Sancta en fut inconsolable; Capito même en fut fâché, mais par une autre raison, car il se trouvait une très méchante affaire sur les bras. Ribaldos était parent du proconsul Acindynus. Ce Romain voulut faire une punition exemplaire de cet assassinat, et, comme il avait eu quelques querelles autrefois avec le présidial d'Hippone, il ne fut pas fâché d'avoir de quoi faire pendre un conseiller; et il fut fort aise que le sort tombât sur Capito, qui était bien le plus vain et le plus insupportable petit robin du pays. Cosi-Sancta avait donc vu assassiner son amant et était près de voir pendre son mari; et tout cela pour avoir été vertueuse. Car, comme je l'ai déjà dit, si elle avait donné ses faveurs à Ribaldos, le mari en eût été bien mieux trompé. Voilà comme la moitié de la prédiction du curé fut accomplie. Cosi-Sancta se ressouvint alors de l'oracle, elle craignit fort d'en accomplir le reste. Mais, ayant bien fait réflexion qu'on ne peut vraincre sa destinée, elle s'abandonna à la Providence, qui la mena au but par les chemins du monde les plus honnêtes. Le proconsul Acindynus était un homme plus débauché que voluptueux, s'amusant très peu aux préliminaires, brutal, familier, vrai héros de garnison, très craint dans la province, et avec qui toutes les femmes d'Hippone avaient eu affaire, uniquement pour ne se pas brouiller avec lui. Il fit venir chez lui madame Cosi-Sancta elle arriva en pleurs; mais elle n'en avait que plus de charmes. "Votre mari, madame, lui dit-il, va être pendu, et il ne tient qu'à vous de le sauver. - Je donnerais ma vie pour la sienne, lui dit la dame. - Ce n'est pas cela qu'on vous demande, répliqua le proconsul. - Et que faut-il donc faire? dit-elle. - Je ne veux qu'une de vos nuits, reprit le proconsul. - Elles ne m'appartiennent pas, dit Cosi-Sancta; c'est un bien qui est à mon mari. Je donnerai mon sang pour le sauver, mais je ne puis donner mon honneur. - Mais si votre mari y consent? dit le proconsul. - Il est le maÃtre, répondit la dame chacun fait de son bien ce qu'il veut. Mais je connais mon mari, il n'en fera rien; c'est un petit homme têtu, tout propre à se laisser pendre plutôt que de permettre qu'on me touche du bout du doigt - Nous allons voir cela, dit le juge en colère." Sur-le-champ il fait venir devant lui le criminel; il lui propose ou d'être pendu, ou d'être cocu il n'y avait point à balancer. Le petit bonhomme se fit pourtant tirer l'oreille. Il fit enfin ce que tout autre aurait fait à sa place. Sa femme, par charité, lui sauva la vie; et ce fut la première des trois. Le même jour, son fils tomba malade d'une maladie fort extraordinaire, inconnue à tous les médecins d'Hippone. Il n'y en avait qu'un qui eût des secrets pour cette maladie; encore demeurait-il à Aquila, à quelques lieues d'Hippone. Il était défendu alors à un médecin établi dans une ville d'en sortir pour aller exercer sa profession dans une autre. Cosi-Sancta fut obligée elle-même d'aller à sa porte à Aquila, avec un frère qu'elle avait, et qu'elle aimait tendrement. Dans les chemins elle fut arrêtée par des brigands. Le chef de ces messieurs la trouva très jolie; et, comme on était près de tuer son frère, il s'approcha d'elle, et lui dit que, si elle voulait avoir un peu de complaisance, on ne tuerait point son frère, et qu'il ne lui en coûterait rien. La chose était pressante elle venait de sauver la vie à son mari qu'elle n'aimait guère; elle allait perdre un frère qu'elle aimait beaucoup; d'ailleurs le danger de son fils l'alarmait; il n'y avait pas de moment à perdre. Elle se recommanda à Dieu, fit tout ce qu'on voulut; et ce fut la seconde des trois fois. Elle arriva le même jour à Aquila, et descendit chez le médecin. C'était un de ces médecins à la mode que les femmes envoient chercher quand elles ont des vapeurs, ou quand elles n'ont rien du tout. Il était le confident des unes, l'amant des autres homme poli, complaisant, un peu brouillé d'ailleurs avec la Faculté, dont il avait fait de fort bonnes plaisanteries dans l'occasion. Cosi-Sancta lui exposa la maladie de son fils, et lui offrit un gros sesterce. Vous remarquerez qu'un gros sesterce fait, en monnaie de France, mille écus et plus. "Ce n'est pas de cette monnaie, madame, que je prétends être payé, lui dit le galant médecin. Je vous offrirais moi-même tout mon bien, si vous étiez dans le goût de vous faire payer des cures que vous pouvez faire guérissez-moi seulement du mal que vous me faites, et je rendrai la santé à votre fils." La proposition parut extravagante à la dame; mais le destin l'avait accoutumée aux choses bizarres. Le médecin était un opiniâtre qui ne voulait point d'autre prix de son remède. Cosi-Sancta n'avait point de mari à consulter; et le moyen de laisser mourir un fils qu'elle adorait, faute du plus petit secours du monde qu'elle pouvait lui donner! Elle était aussi bonne mère que bonne soeur. Elle acheta le remède au prix qu'on voulut et ce fut la dernière des trois fois. Elle revint à Hippone avec son frère, qui ne cessait de la remercier, durant le chemin, du courage avec lequel elle lui avait sauvé la vie. Ainsi Cosi-Sancta, pour avoir été trop sage, fit périr son amant et condamner à mort son mari, et, pour avoir été complaisante, conserva les jours de son frère, de son fils, et de son mari. On trouva qu'une pareille femme était fort nécessaire dans une famille, on la canonisa après sa mort, pour avoir fait tant de bien à ses parents en se mortifiant, et l'on grava sur son tombeau UN PETIT MAL POUR UN GRAND BIEN. La Mule du pape Par le chevalier de Saint-Gile Frères très chers, on lit dans saint Mathieu Qu'un jour le diable emporta le bon Dieu Sur la montagne, et puis lui dit "Beau sire, Vois-tu ces mers, vois-tu ce vaste empire, L'Etat romain de l'un à l'autre bout?" L'autre reprit "Je ne vois rien du tout, Votre montagne en vain serait plus haute." Le diable dit "Mon ami, c'est ta faute. Mais avec moi veux-tu faire un marché? - Oui-da, dit Dieu, pourvu que sans péché Honnêtement nous arrangions la chose. - Or voici donc ce que je te propose, Reprit Satan. Tout le monde est à moi; Depuis Adam j'en ai la jouissance; Je me démets, et tout sera pour toi, Si tu me veux faire la révérence." Notre Seigneur, ayant un peu rêvé, Dit au démon que, quoique en apparence Avantageux le marché fût trouvé, Il ne pouvait le faire en conscience; Car il avait appris dans son enfance Qu'étant si riche on fait mal son salut. Un temps après, notre ami Belzébut Alla dans Rome or c'était l'heureux âge Où Rome avait fourmilière d'élus; Le pape était un pauvre personnage, Pasteur de gens, évêque, et rien de plus. L'Esprit malin s'en va droit au saint-père, Dans son taudis l'aborde, et lui dit "Frère, Je te ferai, si tu veux, grand seigneur." A ce seul mot l'ultramontain pontife Tombe à ses pieds et lui baise la griffe; Le farfadet, d'un air de sénateur, Lui met au chef une triple couronne. "Prenez, dit-il, ce que Satan vous donne; Servez-le bien, vous aurez sa faveur." O papegots! voilà la belle source De tous vos biens, comme savez. Et pour ce Que le saint-père avait en ce tracas Baisé l'ergot de messer Satanas, Ce fut depuis chose à Rome ordinaire Que l'on baisât la mule du saint-père. Ainsi l'ont dit les malins huguenots Qui du papisme ont blasonné l'histoire Mais ces gens-là sentent bien les fagots Et grâce au Ciel, je suis loin de les croire. Que s'il advient que ces petits vers-ci Tombent ès mains de quelque galant homme, C'est bien raison qu'il ait quelque souci De les cacher, s'il fait voyage à Rome. Songe de Platon Platon rêvait beaucoup, et on n'a pas moins rêvé depuis. Il avait songé que la nature humaine était autrefois double, et qu'en punition de ses fautes elle fut divisée en mâle et femelle. Il avait prouvé qu'il ne peut y avoir que cinq mondes parfaits, parce qu'il n'y a que cinq corps réguliers en mathématiques. Sa République fut un de ses grands rêves. Il avait rêvé encore que le dormir naÃt de la veille, et la veille du dormir, et qu'on perd sûrement la vue en regardant une éclipse ailleurs que dans un bassin d'eau. Les rêves alors donnaient une grande réputation. Voici un de ses songes, qui n'est pas un des moins intéressants. Il lui sembla que le grand Démiourgos, l'éternel Géomètre, ayant peuplé l'espace infini de globes innombrables, voulut éprouver la science des génies qui avaient été témoins de ses ouvrages. Il donna à chacun d'entre eux un petit morceau de matière à arranger, à peu près comme Phidias et Zeuxis auraient donné des statues et des tableaux à faire à leurs disciples, s'il est permis de comparer les petites choses aux grandes. Démogorgon eut en partage le morceau de boue qu'on appelle la terre et, l'ayant arrangé de la manière qu'on le voit aujourd'hui, il prétendait avoir fait un chef-d'oeuvre. Il pensait avoir subjugué l'envie, et attendait des éloges même de ses confrères; il fut bien surpris d'être reçu d'eux avec des huées. L'un d'eux, qui était un fort mauvais plaisant, lui dit "Vraiment vous avez fort bien opéré; vous avez séparé votre monde en deux, et vous avez mis un grand espace d'eau entre les deux hémisphères, afin qu'il n'y eût point de communication de l'un à l'autre. On gèlera de froid sous vos deux pôles, on mourra de chaud sous votre ligne équinoxiale. Vous avez prudemment établi de grands déserts de sables, pour que les passants y mourussent de faim et de soif. Je suis assez content de vos moutons, de vos vaches, et de vos poules; mais franchement, je ne le suis pas trop de vos serpents et de vos araignées. Vos oignons et vos artichauts sont de très bonnes choses; mais je ne vois pas quelle a été votre idée en couvrant la terre de tant de plantes venimeuses, à moins que vous n'ayez eu le dessein d'empoisonner ses habitants. Il me paraÃt d'ailleurs que vous avez formé une trentaine d'espèces de singes, beaucoup plus d'espèces de chiens, et seulement quatre ou cinq espèces d'hommes il est vrai que vous avez donné à ce dernier animal ce que vous appelez la raison; mais, en conscience, cette raison-là est trop ridicule, et approche trop de la folie. Il me paraÃt d'ailleurs que vous ne faites pas grand cas de cet animal à deux pieds, puisque vous lui avez donné tant d'ennemis et si peu de défense, tant de maladies et si peu de remèdes, tant de passions et si peu de sagesse. Vous ne voulez pas apparemment qu'il reste beaucoup de ces animaux-là sur terre car, sans compter les dangers auxquels vous les exposez, vous avez si bien fait votre compte qu'un jour la petite vérole emportera tous les ans régulièrement la dixième partie de cette espèce, et que la soeur de cette petite vérole empoisonnera la source de la vie dans les neuf parties qui resteront; et, comme si ce n'était pas encore assez, vous avez tellement disposé les choses que la moitié des survivants sera occupée à plaider, et l'autre à se tuer; ils vous auront, sans doute, beaucoup d'obligation, et vous avez fait là un beau chef-d'oeuvre." Démogorgon rougit; il sentait bien qu'il y avait du mal moral et du mal physique dans son affaire; mais il soutenait qu'il y avait plus de bien que de mal. "Il est aisé de critiquer, dit-il; mais pensez-vous qu'il soit si facile de faire un animal qui soit toujours raisonnable, qui soit libre, et qui n'abuse jamais de sa liberté? Pensez-vous que, quand on a neuf à dix mille plantes à faire provigner, on puisse si aisément empêcher que quelques-unes de ces plantes n'aient des qualités nuisibles? Vous imaginez-vous qu'avec une certaine quantité d'eau, de sable, de fange et de feu, on puisse n'avoir ni mer, ni désert? Vous venez, monsieur le rieur, d'arranger la planète de Mars; nous verrons comment vous vous en êtes tiré avec vos deux grandes bandes, et quel bel effet font vos nuits sans lune; nous verrons s'il n'y a chez vos gens ni folie, ni maladie." En effet, les génies examinèrent Mars, et on tomba rudement sur le railleur. Le sérieux génie qui avait pétri Saturne ne fut pas épargné; ses confrères, les fabricateurs de Jupiter, de Mercure, de Vénus, eurent chacun des reproches à essuyer. On écrivit de gros volumes et des brochures; on dit des bons mots, on fit des chansons, on se donna des ridicules, les partis s'aigrirent; enfin l'éternel Démiourgos leur imposa silence à tous "Vous avez fait, leur dit-il, du bon et du mauvais, parce que vous avez beaucoup d'intelligence, et que vous êtes imparfaits; vos oeuvres dureront seulement quelques centaines de millions d'années; après quoi, étant plus instruits, vous ferez mieux il n'appartient qu'à moi de faire des choses parfaites et immortelles." Voilà ce que Platon enseignait à ses disciples. Quand il eut cessé de parler, l'un deux lui dit Et puis vous vous réveillâtes. Micromégas Histoire philosophique Chapitre premier. Voyage d'un habitant du monde de l'étoile Sirius dans la planète de Saturne Dans une de ces planètes qui tournent autour de l'étoile nommée Sirius, il y avait un jeune homme de beaucoup d'esprit, que j'ai eu l'honneur de connaÃtre dans le dernier voyage qu'il fit sur notre petite fourmilière; il s'appelait Micromégas, nom qui convient fort à tous les grands. Il avait huit lieues de haut j'entends, par huit lieues, vingt-quatre mille pas géométriques de cinq pieds chacun. Quelques algébristes, gens toujours utiles au public, prendront sur-le-champ la plume, et trouveront que, puisque monsieur Micromégas, habitant du pays de Sirius, a de la tête aux pieds vingt-quatre mille pas, qui font cent vingt mille pieds de roi, et que nous autres, citoyens de la terre, nous n'avons guère que cinq pieds, et que notre globe a neuf mille lieues de tour, ils trouveront, dis-je, qu'il faut absolument que le globe qui l'a produit ait au juste vingt et un millions six cent mille fois plus de circonférence que notre petite terre. Rien n'est plus simple et plus ordinaire dans la nature. Les Etats de quelques souverains d'Allemagne ou d'Italie, dont on peut faire le tour en une demi-heure, comparés à l'empire de Turquie, de Moscovie ou de la Chine, ne sont qu'une très faible image des prodigieuses différences que la nature a mises dans tous les êtres. La taille de Son Excellence étant de la hauteur que j'ai dite, tous nos sculpteurs et tous nos peintres conviendront sans peine que sa ceinture peut avoir cinquante mille pieds de roi de tour ce qui fait une très jolie proportion. Quant à son esprit, c'est un des plus cultivés que nous ayons; il sait beaucoup de choses; il en a inventé quelques-unes; il n'avait pas encore deux cent cinquante ans, et il étudiait, selon la coutume, au collège des jésuites de sa planète, lorsqu'il devina, par la force de son esprit, plus de cinquante propositions d'Euclide. C'est dix-huit de plus que Blaise Pascal, lequel, après en avoir deviné trente-deux en se jouant, à ce que dit sa soeur, devint depuis un géomètre assez médiocre, et un fort mauvais métaphysicien. Vers les quatre cent cinquante ans, au sortir de l'enfance, il disséqua beaucoup de ces petits insectes qui n'ont pas cent pieds de diamètre, et qui se dérobent aux microscopes ordinaires; il en composa un livre fort curieux, mais qui lui fit quelques affaires. Le muphti de son pays, grand vétillard, et fort ignorant, trouva dans son livre des propositions suspectes, malsonnantes, téméraires, hérétiques, sentant l'hérésie, et le poursuivit vivement il s'agissait de savoir si la forme substantielle des puces de Sirius était de même nature que celle des colimaçons. Micromégas se défendit avec esprit; il mit les femmes de son côté; le procès dura deux cent vingt ans. Enfin le muphti fit condamner le livre par des jurisconsultes qui ne l'avaient pas lu, et l'auteur eut ordre de ne paraÃtre à la cour de huit cents années. Il ne fut que médiocrement affligé d'être banni d'une cour qui n'était remplie que de tracasseries et de petitesses. Il fit une chanson fort plaisante contre le muphti, dont celui-ci ne s'embarrassa guère; et il se mit à voyager de planète en planète, pour achever de se former l'esprit et le coeur, comme l'on dit. Ceux qui ne voyagent qu'en chaise de poste ou en berline seront sans doute étonnés des équipages de là -haut car nous autres, sur notre petit tas de boue, nous ne concevons rien au-delà de nos usages. Notre voyageur connaissait merveilleusement les lois de la gravitation, et toutes les forces attractives et répulsives. Il s'en servait si à propos que, tantôt à l'aide d'un rayon du soleil, tantôt par la commodité d'une comète, il allait de globe en globe, lui et les siens, comme un oiseau voltige de branche en branche. Il parcourut la voie lactée en peu de temps, et je suis obligé d'avouer qu'il ne vit jamais à travers les étoiles dont elle est semée ce beau ciel empyrée que l'illustre vicaire Derham se vante d'avoir vu au bout de sa lunette. Ce n'est pas que je prétende que Monsieur Derham ait mal vu, à Dieu ne plaise! mais Micromégas était sur les lieux, c'est un bon observateur, et je ne veux contredire personne. Micromégas, après avoir bien tourné, arriva dans le globe de Saturne. Quelque accoutumé qu'il fût à voir des choses nouvelles, il ne put d'abord, en voyant la petitesse du globe et de ses habitants, se défendre de ce sourire de supériorité qui échappe quelquefois aux plus sages. Car enfin Saturne n'est guère que neuf cents fois plus gros que la terre, et les citoyens de ce pays-là sont des nains qui n'ont que mille toises de haut ou environ. Il s'en moqua un peu d'abord avec ses gens, à peu près comme un musicien italien se met à rire de la musique de Lulli quand il vient en France. Mais comme le Sirien avait un bon esprit, il comprit bien vite qu'un être pensant peut fort bien n'être pas ridicule pour n'avoir que six mille pieds de haut. Il se familiarisa avec les Saturniens, après les avoir étonnés. Il lia une étroite amitié avec le secrétaire de l'Académie de Saturne, homme de beaucoup d'esprit, qui n'avait à la vérité rien inventé, mais qui rendait un fort bon compte des inventions des autres, et qui faisait passablement de petits [vers] et de grands calculs. Je rapporterai ici, pour la satisfaction des lecteurs, une conversation singulière que Micromégas eut un jour avec M. le secrétaire. Chapitre second. Conversation de l'habitant de Sirius avec celui de Saturne Après que Son Excellence se fut couchée, et que le secrétaire se fut approché de son visage "Il faut avouer, dit Micromégas, que la nature est bien variée. - Oui, dit le Saturnien; la nature est comme un parterre dont les fleurs... - Ah! dit l'autre, laissez là votre parterre. - Elle est, reprit le secrétaire, comme une assemblée de blondes et de brunes, dont les parures... - Eh! qu'ai-je à faire de vos brunes? dit l'autre. - Elle est donc comme une galerie de peintures dont les traits... - Eh non! dit le voyageur; encore une fois, la nature est comme la nature. Pourquoi lui chercher des comparaisons? - Pour vous plaire, répondit le secrétaire. - Je ne veux point qu'on me plaise, répondit le voyageur; je veux qu'on m'instruise commencez d'abord par me dire combien les hommes de votre globe ont de sens. - Nous en avons soixante et douze, dit l'académicien; et nous nous plaignons tous les jours du peu. Notre imagination va au-delà de nos besoins; nous trouvons qu'avec nos soixante et douze sens, notre anneau, nos cinq lunes, nous sommes trop bornés; et, malgré toute notre curiosité et le nombre assez grand de passions qui résultent de nos soixante et douze sens, nous avons tout le temps de nous ennuyer. - Je le crois bien, dit Micromégas; car dans notre globe nous avons près de mille sens, et il nous reste encore je ne sais quel désir vague, je ne sais quelle inquiétude, qui nous avertit sans cesse que nous sommes peu de chose, et qu'il y a des êtres beaucoup plus parfaits. J'ai un peu voyagé; j'ai vu des mortels fort au-dessous de nous; j'en ai vu de fort supérieurs; mais je n'en ai vu aucuns qui n'aient plus de désirs que de vrais besoins, et plus de besoins que de satisfaction. J'arriverai peut-être un jour au pays où il ne manque rien; mais jusqu'à présent personne ne m'a donné de nouvelles positives de ce pays-là ." Le Saturnien et le Sirien s'épuisèrent alors en conjectures; mais, après beaucoup de raisonnements fort ingénieux et fort incertains, il en fallut revenir aux faits. "Combien de temps vivez-vous? dit le Sirien. - Ah! bien peu, répliqua le petit homme de Saturne. - C'est tout comme chez nous, dit le Sirien; nous nous plaignons toujours du peu. Il faut que ce soit une loi universelle de la nature. - Hélas! nous ne vivons, dit le Saturnien, que cinq cents grandes révolutions du soleil. Cela revient à quinze mille ans ou environ, à compter à notre manière. Vous voyez bien que c'est mourir presque au moment que l'on est né; notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome. A peine a-t-on commencé à s'instruire un peu que la mort arrive avant qu'on ait de l'expérience. Pour moi, je n'ose faire aucuns projets; je me trouve comme une goutte d'eau dans un océan immense. Je suis honteux, surtout devant vous, de la figure ridicule que je fais dans ce monde." Micromégas lui repartit "Si vous n'étiez pas philosophe, je craindrais de vous affliger en vous apprenant que notre vie est sept cents fois plus longue que la vôtre; mais vous savez trop bien que quand il faut rendre son corps aux éléments, et ranimer la nature sous une autre forme, ce qui s'appelle mourir; quand ce moment de métamorphose est venu, avoir vécu une éternité, ou avoir vécu un jour, c'est précisément la même chose. J'ai été dans les pays où l'on vit mille fois plus longtemps que chez moi, et j'ai trouvé qu'on y murmurait encore. Mais il y a partout des gens de bon sens qui savent prendre leur parti et remercier l'auteur de la nature. Il a répandu sur cet univers une profusion de variétés avec une espèce d'uniformité admirable. Par exemple tous les êtres pensants sont différents, et tous se ressemblent au fond par le don de la pensée et des désirs. La matière est partout étendue; mais elle a dans chaque globe des propriétés diverses. Combien comptez-vous de ces propriétés diverses dans votre matière? - Si vous parlez de ces propriétés, dit le Saturnien, sans lesquelles nous croyons que ce globe ne pourrait subsister tel qu'il est, nous en comptons trois cents, comme l'étendue, l'impénétrabilité, la mobilité, la gravitation, la divisibilité, et le reste. - Apparemment, répliqua le voyageur, que ce petit nombre suffit aux vues que le Créateur avait sur votre petite habitation. J'admire en tout sa sagesse; je vois partout des différences, mais aussi partout des proportions. Votre globe est petit, vos habitants le sont aussi; vous avez peu de sensations; votre matière a peu de propriétés; tout cela est l'ouvrage de la Providence. De quelle couleur est votre soleil bien examiné? - D'un blanc fort jaunâtre, dit le Saturnien; et quand nous divisons un de ses rayons, nous trouvons qu'il contient sept couleurs. - Notre soleil tire sur le rouge, dit le Sirien, et nous avons trente-neuf couleurs primitives. Il n'y a pas un soleil, parmi tous ceux dont j'ai approché, qui se ressemble, comme chez vous il n'y a pas un visage qui ne soit différent de tous les autres". Après plusieurs questions de cette nature, il s'informa combien de substances essentiellement différentes on comptait dans Saturne. Il apprit qu'on n'en comptait qu'une trentaine, comme Dieu, l'espace, la matière, les êtres étendus qui sentent, les êtres étendus qui sentent et qui pensent, les êtres pensants qui n'ont point d'étendue, ceux qui se pénètrent, ceux qui ne se pénètrent pas, et le reste. Le Sirien, chez qui on en comptait trois cents, et qui en avait découvert trois mille autres dans ses voyages, étonna prodigieusement le philosophe de Saturne. Enfin, après s'être communiqué l'un à l'autre un peu de ce qu'ils savaient et beaucoup de ce qu'ils ne savaient pas, après avoir raisonné pendant une révolution du soleil, ils résolurent de faire ensemble un petit voyage philosophique. Chapitre troisième. Voyage des deux habitants de Sirius et de Saturne Nos deux philosophes étaient prêts à s'embarquer dans l'atmosphère de Saturne avec une fort jolie provision d'instruments mathématiques, lorsque la maÃtresse du Saturnien, qui en eut des nouvelles, vint en larmes faire ses remontrances. C'était une jolie petite brune qui n'avait que six cent soixante toises, mais qui réparait par bien des agréments la petitesse de sa taille. "Ah! cruel! s'écria-t-elle, après t'avoir résisté quinze cents ans, lorsque enfin je commençais à me rendre, quand j'ai à peine passé cent ans entre tes bras, tu me quittes pour aller voyager avec un géant d'un autre monde; va, tu n'es qu'un curieux, tu n'as jamais eu d'amour si tu étais un vrai Saturnien, tu serais fidèle. Où vas-tu courir? Que veux-tu? Nos cinq lunes sont moins errantes que toi, notre anneau est moins changeant. Voilà qui est fait, je n'aimerai jamais plus personne." Le philosophe l'embrassa, pleura avec elle, tout philosophe qu'il était; et la dame, après s'être pâmée, alla se consoler avec un petit-maÃtre du pays. Cependant nos deux curieux partirent; ils sautèrent d'abord sur l'anneau, qu'ils trouvèrent assez plat, comme l'a fort bien deviné un illustre habitant de notre petit globe; de là ils allèrent de lune en lune. Une comète passait tout auprès de la dernière; ils s'élancèrent sur elle avec leurs domestiques et leurs instruments. Quand ils eurent fait environ cent cinquante millions de lieues, ils rencontrèrent les satellites de Jupiter. Ils passèrent dans Jupiter même, et y restèrent une année, pendant laquelle ils apprirent de fort beaux secrets qui seraient actuellement sous presse sans messieurs les inquisiteurs, qui ont trouvé quelques propositions un peu dures. Mais j'en ai lu le manuscrit dans la bibliothèque de l'illustre archevêque de..., qui m'a laissé voir ses livres avec cette générosité et cette bonté qu'on ne saurait assez louer. Mais revenons à nos voyageurs. En sortant de Jupiter, ils traversèrent un espace d'environ cent millions de lieues, et ils côtoyèrent la planète de Mars, qui, comme on sait, est cinq fois plus petite que notre petit globe; ils virent deux lunes qui servent à cette planète, et qui ont échappé aux regards de nos astronomes. Je sais bien que le père Castel écrira, et même assez plaisamment, contre l'existence de ces deux lunes; mais je m'en rapporte à ceux qui raisonnent par analogie. Ces bons philosophes-là savent combien il serait difficile que Mars, qui est si loin du soleil, se passât à moins de deux lunes. Quoi qu'il en soit, nos gens trouvèrent cela si petit qu'ils craignirent de n'y pas trouver de quoi coucher, et ils passèrent leur chemin comme deux voyageurs qui dédaignent un mauvais cabaret de village et poussent jusqu'à la ville voisine. Mais le Sirien et son compagnon se repentirent bientôt. Ils allèrent longtemps, et ne trouvèrent rien. Enfin ils aperçurent une petite lueur c'était la terre; cela fit pitié à des gens qui venaient de Jupiter. Cependant, de peur de se repentir une seconde fois, ils résolurent de débarquer. Ils passèrent sur la queue de la comète, et, trouvant une aurore boréale toute prête, ils se mirent dedans, et arrivèrent à terre sur le bord septentrional de la mer Baltique, le cinq juillet mil sept cent trente-sept, nouveau style. Chapitre quatrième. Ce qui leur arrive sur le globe de la terre Après s'être reposés quelque temps, ils mangèrent à leur déjeuner deux montagnes, que leurs gens leur apprêtèrent assez proprement. Ensuite ils voulurent reconnaÃtre le petit pays où ils étaient. Ils allèrent d'abord du nord au sud. Les pas ordinaires du Sirien et de ses gens étaient d'environ trente mille pieds de roi; le nain de Saturne suivait de loin en haletant; or il fallait qu'il fÃt environ douze pas, quand l'autre faisait une enjambée figurez-vous s'il est permis de faire de telles comparaisons un très petit chien de manchon qui suivrait un capitaine des gardes du roi de Prusse. Comme ces étrangers-là vont assez vite, ils eurent fait le tour du globe en trente-six heures; le soleil, à la vérité, ou plutôt la terre, fait un pareil voyage en une journée; mais il faut songer qu'on va bien plus à son aise quand on tourne sur son axe que quand on marche sur ses pieds. Les voilà donc revenus d'où ils étaient partis, après avoir vu cette mare, presque imperceptible pour eux, qu'on nomme la Méditerranée, et cet autre petit étang qui, sous le nom du grand Océan, entoure la taupinière. Le nain n'en avait eu jamais qu'à mi-jambe, et à peine l'autre avait-il mouillé son talon. Ils firent tout ce qu'ils purent en allant et en revenant dessus et dessous pour tâcher d'apercevoir si ce globe était habité ou non. Ils se baissèrent, ils se couchèrent, ils tâtèrent partout; mais leurs yeux et leurs mains n'étant point proportionnés aux petits êtres qui rampent ici, ils ne reçurent pas la moindre sensation qui pût leur faire soupçonner que nous et nos confrères les autres habitants de ce globe avons l'honneur d'exister. Le nain, qui jugeait quelquefois un peu trop vite, décida d'abord qu'il n'y avait personne sur la terre. Sa première raison était qu'il n'avait vu personne. Micromégas lui fit sentir poliment que c'était raisonner assez mal "Car, disait-il, vous ne voyez pas avec vos petits yeux certaines étoiles de la cinquantième grandeur que j'aperçois très distinctement; concluez-vous de là que ces étoiles n'existent pas? - Mais, dit le nain, j'ai bien tâté. - Mais, répondit l'autre, vous avez mal senti. - Mais, dit le nain, ce globe-ci est si mal construit, cela est si irrégulier et d'une forme qui me paraÃt si ridicule! tout semble être ici dans le chaos voyez-vous ces petits ruisseaux dont aucun ne va de droit fil, ces étangs qui ne sont ni ronds, ni carrés, ni ovales, ni sous aucune forme régulière; tous ces petits grains pointus dont ce globe est hérissé, et qui m'ont écorché les pieds? Il voulait parler des montagnes. Remarquez-vous encore la forme de tout le globe, comme il est plat aux pôles, comme il tourne autour du soleil d'une manière gauche, de façon que les climats des pôles sont nécessairement incultes? En vérité, ce qui fait que je pense qu'il n'y a ici personne, c'est qu'il me paraÃt que des gens de bon sens ne voudraient pas y demeurer. - Eh bien, dit Micromégas, ce ne sont peut-être pas non plus des gens de bon sens qui l'habitent. Mais enfin il y a quelques apparence que ceci n'est pas fait pour rien. Tout vous paraÃt irrégulier ici, dites-vous, parce que tout est tiré au cordeau dans Saturne et dans Jupiter. Eh! c'est peut-être par cette raison-là même qu'il y a ici un peu de confusion. Ne vous ai-je pas dit que dans mes voyages j'avais toujours remarqué de la variété?" Le Saturnien répliqua à toutes ces raisons. La dispute n'eût jamais fini, si par bonheur Micromégas, en s'échauffant à parler, n'eût cassé le fil de son collier de diamants. Les diamants tombèrent; c'étaient de jolis petits carats assez inégaux, dont les plus gros pesaient quatre cents livres, et les plus petits cinquante. Le nain en ramassa quelques-uns; il s'aperçut, en les approchant de ses yeux, que ces diamants, de la façon dont ils étaient taillés, étaient d'excellents microscopes. Il prit donc un petit microscope de cent soixante pieds de diamètre, qu'il appliqua à sa prunelle; et Micromégas en choisit un de deux mille cinq cent pieds. Ils étaient excellents; mais d'abord on ne vit rien par leur secours il fallait s'ajuster. Enfin l'habitant de Saturne vit quelque chose d'imperceptible qui remuait entre deux eaux dans la mer Baltique c'était une baleine. Il la prit avec le petit doigt fort adroitement; et la mettant sur l'ongle de son pouce, il la fit voir au Sirien, qui se mit à rire pour la seconde fois de l'excès de petitesse dont étaient les habitants de notre globe. Le Saturnien, convaincu que notre monde est habité, s'imagina bien vite qu'il ne l'était que par des baleines; et comme il était grand raisonneur, il voulut deviner d'où un si petit atome tirait son mouvement, s'il avait des idées, une volonté, une liberté. Micromégas y fut fort embarrassé; il examina l'animal fort patiemment, et le résultat de l'examen fut qu'il n'y avait pas moyen de croire qu'une âme fut logée là . Les deux voyageurs inclinaient donc à penser qu'il n'y a point d'esprit dans notre habitation, lorsqu'à l'aide du microscope ils aperçurent quelque chose d'aussi gros qu'une baleine qui flottait sur la mer Baltique. On sait que dans ce temps-là même une volée de philosophes revenait du cercle polaire, sous lequel ils avaient été faire des observations dont personne ne s'était avisé jusqu'alors. Les gazettes dirent que leur vaisseau échoua aux côtes de Botnie, et qu'ils eurent bien de la peine à se sauver; mais on ne sait jamais dans ce monde le dessous des cartes. Je vais raconter ingénument comme la chose se passa, sans y rien mettre du mien, ce qui n'est pas un petit effort pour un historien. Chapitre cinquième. Expériences et raisonnements des deux voyageurs Micromégas étendit la main tout doucement vers l'endroit où l'objet paraissait, et avançant deux doigts, et les retirant par la crainte de se tromper, puis les ouvrant et les serrant, il saisit fort adroitement le vaisseau qui portait ces messieurs, et le mit encore sur son ongle, sans le trop presser; de peur de l'écraser. "Voici un animal bien différent du premier", dit le nain de Saturne; le Sirien mit le prétendu animal dans le creux de sa main. Les passagers et les gens de l'équipage, qui s'étaient crus enlevés par un ouragan, et qui se croyaient sur une espèce de rocher, se mettent tous en mouvement; les matelots prennent des tonneaux de vin, les jettent sur la main de Micromégas, et se précipitent après. Les géomètres prennent leurs quarts de cercle, leurs secteurs, et des filles laponnes, et descendent sur les doigts du Sirien. Ils en firent tant qu'il sentit enfin remuer quelque chose qui lui chatouillait les doigts c'était un bâton ferré qu'on lui enfonçait d'un pied dans l'index; il jugea, par ce picotement, qu'il était sorti quelque chose du petit animal qu'il tenait; mais il n'en soupçonna pas d'abord davantage. Le microscope, qui faisait à peine discerner une baleine et un vaisseau, n'avait point de prise sur un être aussi imperceptible que des hommes. Je ne prétends choquer ici la vanité de personne, mais je suis obligé de prier les importants de faire ici une petite remarque avec moi; c'est qu'en prenant la taille des hommes d'environ cinq pieds, nous ne faisons pas sur la terre une plus grande figure qu'en ferait sur une boule de dix pieds de tour un animal qui aurait à peu près la six cent millième partie d'un pouce en hauteur. Figurez-vous une substance qui pourrait tenir la terre dans sa main, et qui aurait des organes en proportion des nôtres; et il se peut très bien faire qu'il y ait un grand nombre de ces substances or concevez, je vous prie, ce qu'elles penseraient de ces batailles qui nous ont valu deux villages qu'il a fallu rendre. Je ne doute pas que si quelque capitaine des grands grenadiers lit jamais cet ouvrage, il ne hausse de deux grands pieds au moins les bonnets de sa troupe; mais je l'avertis qu'il aura beau faire, et que lui et les siens ne seront jamais que des infiniment petits. Quelle adresse merveilleuse ne fallut-il donc pas à notre philosophe de Sirius pour apercevoir les atomes dont je viens de parler? Quand Leuwenhoek et Hartsoeker virent les premiers, ou crurent voir, la graine dont nous sommes formés, ils ne firent pas à beaucoup près une si étonnante découverte. Quel plaisir sentit Micromégas en voyant remuer ces petites machines, en examinant tous leurs tours, en les suivant dans toutes leurs opérations! comme il s'écria! comme il mit avec joie un de ses microscopes dans les mains de son compagnon de voyage! "Je les vois, disaient-ils tous deux à la fois; ne les voyez-vous pas qui portent des fardeaux, qui se baissent, qui se relèvent?" En parlant ainsi les mains leur tremblaient, par le plaisir de voir des objets si nouveaux, et par la crainte de les perdre. Le Saturnien, passant d'un excès de défiance à un excès de crédulité, crut apercevoir qu'ils travaillaient à la propagation. "Ah! disait-il, j'ai pris la nature sur le fait". Mais il se trompait sur les apparences ce qui n'arrive que trop, soit qu'on se serve ou non de microscopes. Chapitre sixième. Ce qui leur arriva avec des hommes Micromégas, bien meilleur observateur que son nain, vit clairement que les atomes se parlaient; et il le fit remarquer à son compagnon, qui, honteux de s'être mépris sur l'article de la génération, ne voulut point croire que de pareilles espèces pussent se communiquer des idées. Il avait le don des langues aussi bien que le Sirien; il n'entendait point parler nos atomes, et il supposait qu'ils ne parlaient pas. D'ailleurs, comment ces êtres imperceptibles auraient-ils les organes de la voix, et qu'auraient-ils à dire? Pour parler, il faut penser, ou à peu près; mais s'ils pensaient, ils auraient donc l'équivalent d'une âme. Or, attribuer l'équivalent d'une âme à cette espèce, cela lui paraissait absurde. "Mais, dit le Sirien, vous avez cru tout à l'heure qu'ils faisaient l'amour; est-ce que vous croyez qu'on puisse faire l'amour sans penser et sans proférer quelque parole, ou du moins sans se faire entendre? Supposez-vous d'ailleurs qu'il soit plus difficile de produire un argument qu'un enfant? Pour moi, l'un et l'autre me paraissent de grands mystères. - Je n'ose plus ni croire ni nier, dit le nain; je n'ai plus d'opinion. Il faut tâcher d'examiner ces insectes, nous raisonnerons après. - C'est fort bien dit", reprit Micromégas; et aussitôt il tira une paire de ciseaux dont il se coupa les ongles, et d'une rognure de l'ongle de son pouce, il fit sur-le-champ une espèce de grande trompette parlante, comme un vaste entonnoir, dont il mit le tuyau dans son oreille. La circonférence de l'entonnoir enveloppait le vaisseau et tout l'équipage. La voix la plus faible entrait dans les fibres circulaires de l'ongle; de sorte que, grâce à son industrie, le philosophe de là -haut entendit parfaitement le bourdonnement de nos insectes de là -bas. En peu d'heures il parvint à distinguer les paroles, et enfin à entendre le français. Le nain en fit autant, quoique avec plus de difficulté. L'étonnement des voyageurs redoublait à chaque instant. Ils entendaient des mites parler d'assez bon sens ce jeu de la nature leur paraissait inexplicable. Vous croyez bien que le Sirien et son nain brûlaient d'impatience de lier conversation avec les atomes; il craignait que sa voix de tonnerre, et surtout celle de Micromégas, n'assourdÃt les mites sans en être entendue. Il fallait en diminuer la force. Ils se mirent dans la bouche des espèces de petits cure-dents, dont le bout fort effilé venait donner auprès du vaisseau. Le Sirien tenait le nain sur ses genoux, et le vaisseau avec l'équipage sur un ongle; il baissait la tête et parlait bas. Enfin, moyennant toutes ces précautions et bien d'autres encore, il commença ainsi son discours "Insectes invisibles, que la main du Créateur s'est plu à faire naÃtre dans l'abÃme de l'infiniment petit, je le remercie de ce qu'il a daigné me découvrir des secrets qui semblaient impénétrables. Peut-être ne daignerait-on pas vous regarder à ma cour; mais je ne méprise personne, et je vous offre ma protection." Si jamais il y a eu quelqu'un d'étonné, ce furent les gens qui entendirent ces paroles. Ils ne pouvaient deviner d'où elles partaient. L'aumônier du vaisseau récita les prières des exorcismes, les matelots jurèrent, et les philosophes du vaisseau firent un système; mais quelque système qu'ils fissent, ils ne purent jamais deviner qui leur parlait. Le nain de Saturne, qui avait la voix plus douce que Micromégas, leur apprit alors en peu de mots à quelles espèces ils avaient affaire. Il leur conta le voyage de Saturne, les mit au fait de ce qu'était monsieur Micromégas; et, après les avoir plaints d'être si petits, il leur demanda s'ils avaient toujours été dans ce misérable état si voisin de l'anéantissement, ce qu'ils faisaient dans un globe qui paraissait appartenir à des baleines, s'ils étaient heureux, s'ils multipliaient, s'ils avaient une âme, et cent autres questions de cette nature. Un raisonneur de la troupe, plus hardi que les autres, et choqué de ce qu'on doutait de son âme, observa l'interlocuteur avec des pinnules braquées sur un quart de cercle, fit deux stations, et à la troisième il parla ainsi "Vous croyez donc, monsieur, parce que vous avez mille toises depuis la tête jusqu'aux pieds, que vous êtes un... - Mille toises! s'écria le nain; juste ciel! d'où peut-il savoir ma hauteur? mille toises! Il ne se trompe pas d'un pouce; quoi! cet atome m'a mesuré! il est géomètre, il connaÃt ma grandeur; et moi, qui ne le vois qu'à travers un microscope, je ne connais pas encore la sienne! - Oui, je vous ai mesuré, dit le physicien, et je mesurerai bien encore votre grand compagnon." La proposition fut acceptée; Son Excellence se coucha de son long car, s'il se fût tenu debout, sa tête eût été trop au-dessus des nuages. Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre dans un endroit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d'appeler par son nom, à cause de mon grand respect pour les dames. Puis, par une suite de triangles liés ensemble, ils conclurent que ce qu'ils voyaient était en effet un jeune homme de cent vingt mille pieds de roi. Alors Micromégas prononça ces paroles "Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente. O Dieu! qui avez donné une intelligence à des substances qui paraissent si méprisables, l'infiniment petit vous coûte aussi peu que l'infiniment grand; et, s'il est possible qu'il y ait des êtres plus petits que ceux-ci, ils peuvent encore avoir un esprit supérieur à ceux de ces superbes animaux que j'ai vus dans le ciel, dont le pied seul couvrirait le globe où je suis descendu." Un des philosophes lui répondit qu'il pouvait en toute sûreté croire qu'il est en effet des êtres intelligents beaucoup plus petits que l'homme. Il lui conta, non pas tout ce que Virgile a dit de fabuleux sur les abeilles, mais ce que Swammerdam a découvert, et ce que Réaumur a disséqué. Il lui apprit enfin qu'il y a des animaux qui sont pour les abeilles ce que les abeilles sont pour l'homme, ce que le Sirien lui-même était pour ces animaux si vastes dont il parlait, et ce que ces grands animaux sont pour d'autres substances devant lesquelles ils ne paraissent que comme des atomes. Peu à peu la conversation devint intéressante, et Micromégas parla ainsi. Chapitre septième. Conversation avec les hommes "O atomes intelligents, dans qui l'Etre éternel s'est plu à vous manifester son adresse et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe car, ayant si peu de matière, et paraissant tout esprit, vous devez passer votre vie à aimer et à penser; c'est la véritable vie des esprits. Je n'ai vu nulle part le vrai bonheur; mais il est ici, sans doute." A ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête; et l'un d'eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l'on en excepte un petit nombre d'habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de fous, de méchants et de malheureux. "Nous avons plus de matière qu'il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière; et trop d'esprit, si le mal vient de l'esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu'à l'heure que je vous parle, il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d'un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c'est ainsi qu'on en use de temps immémorial?" Le Sirien frémit, et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. "Il s'agit, dit le philosophe, de quelque tas de boue grand comme votre talon. Ce n'est pas qu'aucun de ces millions d'hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ce tas de boue. Il ne s'agit que de savoir s'il appartiendra à un certain homme qu'on nomme Sultan, ou à un autre qu'on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s'agit; et presque aucun de ces animaux qui s'égorgent mutuellement n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent. - Ah! malheureux! s'écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée! Il me prend envie de faire trois pas, et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins ridicules. - Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu'au bout de dix ans, il ne reste jamais la centième partie de ces misérables; sachez que, quand même ils n'auraient pas tiré l'épée, la faim, la fatigue ou l'intempérance les emportent presque tous. D'ailleurs, ce n'est pas eux qu'il faut punir, ce sont ces barbares sédentaires qui du fond de leur cabinet ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d'un million d'hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement." Le voyageur se sentait ému de pitié pour la petite race humaine, dans laquelle il découvrait de si étonnants contrastes. "Puisque vous êtes du petit nombre de sages, dit-il à ces messieurs, et qu'apparemment vous ne tuez personne pour de l'argent, dites-moi, je vous en prie, à quoi vous vous occupez. - Nous disséquons des mouches, dit le philosophe, nous mesurons des lignes, nous assemblons des nombres; nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons, et nous disputons sur deux ou trois mille que nous n'entendons pas." Il prit aussitôt fantaisie au Sirien et au Saturnien d'interroger ces atomes pensants, pour savoir les choses dont ils convenaient. "Combien comptez-vous, dit-il, de l'étoile de la Canicule à la grande étoile des Gémeaux?" Ils répondirent tous à la fois "Trente-deux degrés et demi. - Combien comptez-vous d'ici à la lune? - Soixante demi-diamètres de la terre en nombre rond. - Combien pèse votre air?" Il croyait les attraper, mais tous lui dirent que l'air pèse environ neuf cents fois moins qu'un pareil volume de l'eau la plus légère, et dix-neuf cents fois moins que l'or de ducat. Le petit nain de Saturne, étonné de leurs réponses, fut tenté de prendre pour des sorciers ces mêmes gens auxquels il avait refusé une âme un quart d'heure auparavant. Enfin Micromégas leur dit "Puisque vous savez si bien ce qui est hors de vous, sans doute vous savez encore mieux ce qui est en dedans. Dites-moi ce que c'est que votre âme, et comment vous formez vos idées." Les philosophes parlèrent tous à la fois comme auparavant; mais ils furent tous de différents avis. Le plus vieux citait Aristote, l'autre prononçait le nom de Descartes; celui-ci, de Malebranche; cet autre, de Leibnitz; cet autre, de Locke. Un vieux péripatéticien dit tout haut avec confiance "L'âme est un entéléchie, et une raison par qui elle a la puissance d'être ce qu'elle est. C'est ce que déclare expressément Aristote, page 633 de l'édition du Louvre. , etc. - Je n'entends pas trop bien le grec, dit le géant. - Ni moi non plus, dit la mite philosophique. - Pourquoi donc, reprit le Sirien, citez-vous un certain Aristote en grec? - C'est, répliqua le savant, qu'il faut bien citer ce qu'on ne comprend point du tout dans la langue qu'on entend le moins." Le cartésien prit la parole, et dit "L'âme est un esprit pur qui a reçu dans le ventre de sa mère toutes les idées métaphysiques, et qui, en sortant de là , est obligée d'aller à l'école, et d'apprendre tout de nouveau ce qu'elle a si bien su, et qu'elle ne saura plus. - Ce n'était donc pas la peine, répondit l'animal de huit lieues, que ton âme fût si savante dans le ventre de ta mère, pour être si ignorante quand tu aurais de la barbe au menton. Mais qu'entends-tu par esprit? - Que me demandez-vous là ? dit le raisonneur; je n'en ai point d'idée; on dit que ce n'est pas de la matière. - Mais sais-tu au moins ce que c'est que de la matière? - Très bien, répondit l'homme. Par exemple cette pierre est grise, et d'une telle forme, elle a ses trois dimensions, elle est pesante et divisible. - Eh bien! dit le Sirien, cette chose qui te paraÃt être divisible, pesante; et grise, me dirais-tu bien ce que c'est? Tu vois quelques attributs; mais le fond de la chose, le connais-tu? - Non, dit l'autre. - Tu ne sais donc point ce que c'est que la matière." Alors monsieur Micromégas, adressant la parole à un autre sage qu'il tenait sur son pouce, lui demanda ce que c'était que son âme, et ce qu'elle faisait. "Rien du tout, répondit le philosophe malebranchiste; c'est Dieu qui fait tout pour moi je vois tout en lui, je fais tout en lui; c'est lui qui fait tout sans que je m'en mêle. - Autant vaudrait ne pas être, reprit le sage de Sirius. Et toi, mon ami, dit-il à un Leibnizien qui était là , qu'est-ce que ton âme? - C'est, répondit le Leibnizien, une aiguille qui montre les heures pendant que mon corps carillonne, ou bien, si vous voulez, c'est elle qui carillonne pendant que mon corps montre l'heure; ou bien mon âme est le miroir de l'univers, et mon corps est la bordure du miroir cela est clair". Un petit partisan de Locke était là tout auprès; et quand on lui eut enfin adressé la parole "Je ne sais pas, dit-il, comment je pense, mais je sais que je n'ai jamais pensé qu'à l'occasion de mes sens. Qu'il y ait des substances immatérielles et intelligentes, c'est de quoi je ne doute pas; mais qu'il soit impossible à Dieu de communiquer la pensée à la matière, c'est de quoi je doute fort. Je révère la puissance éternelle; il ne m'appartient pas de la borner je n'affirme rien; je me contente de croire qu'il y a plus de choses possibles qu'on ne pense." L'animal de Sirius sourit il ne trouva pas celui-là le moins sage; et le nain de Saturne aurait embrassé le sectateur de Locke sans l'extrême disproportion. Mais il y avait là , par malheur, un petit animalcule en bonnet carré qui coupa la parole à tous les animalcules philosophes; il dit qu'il savait tout le secret, que cela se trouvait dans la Somme de Saint Thomas; il regarda de haut en bas les deux habitants célestes; il leur soutint que leurs personnes, leurs mondes, leurs soleils, leurs étoiles, tout était fait uniquement pour l'homme. A ce discours, nos deux voyageurs se laissèrent aller l'un sur l'autre en étouffant de ce rire inextinguible qui, selon Homère, est le partage des dieux leurs épaules et leurs ventres allaient et venaient, et dans ces convulsions le vaisseau, que le Sirien avait sur son ongle, tomba dans une poche de la culotte du Saturnien. Ces deux bonnes gens le cherchèrent longtemps; enfin ils retrouvèrent l'équipage, et le rajustèrent fort proprement. Le Sirien reprit les petites mites; il leur parla encore avec beaucoup de bonté, quoiqu'il fût un peu fâché dans le fond du coeur de voir que les infiniment petits eussent un orgueil presque infiniment grand. Il leur promit de leur faire un beau livre de philosophie écrit fort menu pour leur usage, et que, dans ce livre, ils verraient le bout des choses. Effectivement, il leur donna ce volume avant son départ on le porta à Paris à l'Académie des sciences; mais, quand le secrétaire l'eut ouvert, il ne vit rien qu'un livre tout blanc "Ah! dit-il, je m'en étais bien douté." Le Monde comme il va Vision de Babouc écrite par lui-même Parmi les génies, qui président aux empires du monde, Ituriel tient un des premiers rangs, et il a le département de la haute Asie. Il descendit un matin dans la demeure du Scythe Babouc, sur le rivage de l'Oxus, et lui dit "Babouc, les folies et les excès des Perses ont attiré notre colère il s'est tenu hier une assemblée des génies de la haute Asie pour savoir si on châtierait Persépolis, ou si on la détruirait. Va dans cette ville, examine tout; tu reviendras m'en rendre un compte fidèle, et je me déterminerai, sur ton rapport, à corriger la ville ou à l'exterminer. - Mais, seigneur, dit humblement Babouc, je n'ai jamais été en Perse; je n'y connais personne. - Tant mieux, dit l'ange, tu ne seras point partial; tu a reçu du Ciel le discernement et j'y ajoute le don d'inspirer la confiance; marche, regarde, écoute, observe, et ne crains rien; tu seras partout bien reçu." Babouc monta sur son chameau et partit avec ses serviteurs. Au bout de quelques journées, il rencontra vers les plaines de Sennaar l'armée persane, qui allait combattre l'armée indienne. Il s'adressa d'abord à un soldat qu'il trouva écarté. Il lui parla, et lui demanda quel était le sujet de la guerre. "Par tous les dieux, dit le soldat, je n'en sais rien. Ce n'est pas mon affaire mon métier est de tuer et d'être tué pour gagner ma vie; il n'importe qui je serve. Je pourrais bien même dès demain passer dans le camp des Indiens car on dit qu'ils donnent près d'une demi-drachme de cuivre par jour à leurs soldats de plus que nous n'en avons dans ce maudit service de Perse. Si vous voulez savoir pourquoi on se bat, parlez à mon capitaine." Babouc ayant fait un petit présent au soldat entra dans le camp. Il fit bientôt connaissance avec le capitaine, et lui demanda le sujet de la guerre. "Comment voulez-vous que je le sache? dit le capitaine, et que m'importe ce beau sujet? J'habite à deux cents lieues de Persépolis; j'entends dire que la guerre est déclarée; j'abandonne aussitôt ma famille, et je vais chercher, selon notre coutume, la fortune ou la mort, attendu que je n'ai rien à faire. - Mais vos camarades, dit Babouc, ne sont-ils pas un peu plus instruits que vous? - Non, dit l'officier; il n'y a guère que nos principaux satrapes qui savent bien précisément pourquoi on s'égorge." Babouc, étonné, s'introduisit chez les généraux; il entra dans leur familiarité. L'un d'eux lui dit enfin "La cause de cette guerre, qui désole depuis vingt ans l'Asie, vient originairement d'une querelle entre un eunuque d'une femme du grand roi de Perse, et un commis d'un bureau du grand roi des Indes. Il s'agissait d'un droit qui revenait à peu près à la trentième partie d'une darique. Le premier ministre des Indes et le nôtre soutinrent dignement les droits de leurs maÃtres. La querelle s'échauffa. On mit de part et d'autre en campagne une armée d'un million de soldats. Il faut recruter cette armée tous les ans de plus de quatre cent mille hommes. Les meurtres, les incendies, les ruines, les dévastations, se multiplient; l'univers souffre, et l'acharnement continue. Notre premier ministre et celui des Indes protestent souvent qu'ils n'agissent que pour le bonheur du genre humain; et à chaque protestation il y a toujours quelque ville détruite et quelques provinces ravagées." Le lendemain, sur un bruit qui se répandit que la paix allait être conclue, le général persan et le général indien s'empressèrent de donner bataille; elle fut sanglante. Babouc en vit toutes les fautes et toutes les abominations; il fut témoin des manoeuvres des principaux satrapes, qui firent ce qu'ils purent pour faire battre leur chef. Il vit des officiers tués par leurs propres troupes; il vit des soldats qui achevaient d'égorger leurs camarades expirants pour leur arracher quelques lambeaux sanglants, déchirés et couverts de fange. Il entra dans les hôpitaux où l'on transportait les blessés, dont la plupart expiraient par la négligence inhumaine de ceux mêmes que le roi de Perse payait chèrement pour les secourir. "Sont-ce là des hommes, s'écria Babouc, ou des bêtes féroces? Ah! je vois bien que Persépolis sera détruite." Occupé de cette pensée, il passa dans le camp des Indiens il y fut aussi bien reçu que dans celui des Perses, selon ce qui lui avait été prédit; mais il y vit tous les mêmes excès qui l'avaient saisi d'horreur. "Oh, oh! dit-il en lui-même, si l'ange Ituriel veut exterminer les Persans, il faut donc que l'ange des Indes détruise aussi les Indiens." S'étant ensuite informé plus en détail de ce qui s'était passé dans l'une et l'autre armée, il apprit des actions de générosité, de grandeur d'âme, d'humanité, qui l'étonnèrent et le ravirent. "Inexplicables humains, s'écria-t-il, comment pouvez-vous réunir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes?" Cependant la paix fut déclarée. Les chefs des deux armées, dont aucun n'avait remporté la victoire, mais qui, pour leur seul intérêt, avaient fait verser le sang de tant d'hommes, leurs semblables, allèrent briguer dans leurs cours des récompenses. On célébra la paix dans des écrits publics qui n'annonçaient que le retour de la vertu et de la félicité sur la terre. "Dieu soit loué! dit Babouc; Persépolis sera le séjour de l'innocence épurée; elle ne sera point détruite comme le voulaient ces vilains génies courons sans tarder dans cette capitale de l'Asie." Il arriva dans cette ville immense par l'ancienne entrée, qui était toute barbare, et dont la rusticité dégoûtante offensait les yeux. Toute cette partie de la ville se ressentait du temps où elle avait été bâtie car, malgré l'opiniâtreté des hommes à louer l'antique aux dépens du moderne, il faut avouer qu'en tout genre les premiers essais sont toujours grossiers. Babouc se mêla dans la foule d'un peuple composé de ce qu'il y avait de plus sale et de plus laid dans les deux sexes. Cette foule se précipitait d'un air hébété dans un enclos vaste et sombre. Au bourdonnement continuel, au mouvement qu'il y remarqua, à l'argent que quelques personnes donnaient à d'autres pour avoir droit de s'asseoir, il crut être dans un marché où l'on vendait des chaises de pailles; mais bientôt, voyant que plusieurs femmes se mettaient à genoux, en faisant semblant de regarder fixement devant elles, et en regardant les hommes de côté, il s'aperçut qu'il était dans un temple. Des voix aigres, rauques, sauvages, discordantes, faisaient retentir la voûte de sons mal articulés qui faisaient le même effet que les voix des onagres quand elles répondent, dans les plaines des Pictaves, au cornet à bouquin qui les appelle. Il se bouchait les oreilles; mais il fut près de se boucher encore les yeux et le nez quand il vit entrer dans ce temple des ouvriers avec des pinces et des pelles. Ils remuèrent une large pierre, et jetèrent à droite et à gauche une terre dont s'exhalait une odeur empestée; ensuite on vint poser un mort dans cette ouverture, et on remit la pierre par-dessus. "Quoi! s'écria Babouc, ces peuples enterrent leurs morts dans les mêmes lieux où ils adorent la Divinité! Quoi! leurs temples sont pavés de cadavres! Je ne m'étonne plus de ces maladies pestilentielles qui désolent souvent Persépolis. La pourriture des morts, et celle de tant de vivants rassemblés et pressés dans le même lieu, est capable d'empoisonner le globe terrestre. Ah! la vilaine ville que Persépolis! Apparemment que les anges veulent la détruire pour en rebâtir une plus belle, et pour la peupler d'habitants moins malpropres, et qui chantent mieux. La Providence peut avoir ses raisons; laissons-la faire." Cependant le soleil approchait du haut de sa carrière. Babouc devait aller dÃner à l'autre bout de la ville, chez une dame pour laquelle son mari, officier de l'armée, lui avait donné des lettres. Il fit d'abord plusieurs tours dans Persépolis; il vit d'autres temples mieux bâtis et mieux ornés, remplis d'un peuple poli, et retentissant d'une musique harmonieuse; il remarqua des fontaines publiques, lesquelles, quoique mal placées, frappaient les yeux par leur beauté; des places où semblaient respirer en bronze les meilleurs rois qui avaient gouverné la Perse; d'autres places où il entendait le peuple s'écrier "Quand verrons-nous ici le maÃtre que nous chérissons?" Il admira les ponts magnifiques élevés sur le fleuve, les quais superbes et commodes, les palais bâtis à droite et à gauche, une maison immense où des milliers de vieux soldats blessés et vainqueurs rendaient chaque jour grâces au Dieu des armées. Il entra enfin chez la dame, qui l'attendait à dÃner avec une compagnie d'honnêtes gens. La maison était propre et ornée, le repas délicieux, la dame jeune, belle, spirituelle, engageante, la compagnie digne d'elle; et Babouc disait en lui-même à tout moment "L'ange Ituriel se moque du monde de vouloir détruire une ville si charmante." Cependant il s'aperçut que la dame, qui avait commencé par lui demander tendrement des nouvelles de son mari, parlait plus tendrement encore, sur la fin du repas, à un jeune mage. Il vit un magistrat qui, en présence de sa femme, pressait avec vivacité une veuve; et cette veuve indulgente avait une main passée autour du cou du magistrat, tandis qu'elle tendait l'autre à un jeune citoyen très beau et très modeste. La femme du magistrat se leva de table la première pour aller entretenir dans un cabinet voisin son directeur, qui arrivait trop tard et qu'on avait attendu à dÃner; et le directeur, homme éloquent, lui parla dans ce cabinet avec tant de véhémence et d'onction que la dame avait, quand elle revint, les yeux humides, les joues enflammées, la démarche mal assurée, la parole tremblante. Alors Babouc commença à craindre que le génie Ituriel n'eût raison. Le talent qu'il avait d'attirer la confiance le mit dès le jour même dans les secrets de la dame elle lui confia son goût pour le jeune mage, et l'assura que dans toutes les maisons de Persépolis il trouverait l'équivalent de ce qu'il avait vu dans la sienne. Babouc conclut qu'une telle société ne pouvait subsister; que la jalousie, la discorde, la vengeance, devaient désoler toutes les maisons; que les larmes et le sang devaient couler tous les jours; que certainement les maris tueraient les galants de leurs femmes, ou en seraient tués; et qu'enfin Ituriel faisait fort bien de détruire tout d'un coup une ville abandonnée à de continuels désastres. Il était plongé dans ces idées funestes, quand il se présenta à la porte un homme grave en manteau noir, qui demanda humblement à parler au jeune magistrat. Celui-ci, sans se lever, sans le regarder, lui donna fièrement, et d'un air distrait, quelques papiers, et le congédia. Babouc demanda quel était cet homme. La maÃtresse de la maison lui dit tout bas "C'est un des meilleurs avocats de la ville; il y a cinquante ans qu'il étudie les lois. Monsieur, qui n'a que vingt-cinq ans, et qui est satrape de loi depuis deux jours, lui donne à faire l'extrait d'un procès qu'il doit juger, qu'il n'a pas encore examiné. - Ce jeune étourdi fait sagement, dit Babouc, de demander conseil à un vieillard; mais pourquoi n'est-ce pas ce vieillard qui est juge? - Vous vous moquez, lui dit-on; jamais ceux qui ont vieilli dans les emplois laborieux et subalternes ne parviennent aux dignités. Ce jeune homme a une grande charge, parce que son père est riche, et qu'ici le droit de rendre la justice s'achète comme une métairie. - O moeurs! ô malheureuse ville! s'écria Babouc; voilà le comble du désordre; sans doute ceux qui ont ainsi acheté le droit de juger vendent leurs jugements je ne vois ici que des abÃmes d'iniquité." Comme il marquait ainsi sa douleur et sa surprise, un jeune guerrier, qui était revenu ce jour même de l'armée, lui dit "Pourquoi ne voulez-vous pas qu'on achète les emplois de la robe? J'ai bien acheté, moi, le droit d'affronter la mort à la tête de deux mille hommes, que je commande; il m'en a coûté quarante mille dariques d'or, cette année, pour coucher sur la terre trente nuits de suite en habit rouge, et pour recevoir ensuite deux bons coups de flèches dont je me sens encore. Si je me ruine pour servir l'empereur persan, que je n'ai jamais vu, M. le satrape de robe peut bien payer quelque chose pour avoir le plaisir de donner audience à des plaideurs." Babouc, indigné, ne put s'empêcher de condamner dans son coeur un pays où l'on mettait à l'encan les dignités de la paix et de la guerre; il conclut précipitamment que l'on y devait ignorer absolument la guerre et les lois, et que, quand même Ituriel n'exterminerait pas ces peuples, ils périraient par leur détestable administration. Sa mauvaise opinion augmenta encore à l'arrivée d'un gros homme qui, ayant salué très familièrement toute la compagnie, s'approcha du jeune officier, et lui dit "Je ne peux vous prêter que cinquante mille dariques d'or, car, en vérité, les douanes de l'empire ne m'en ont rapporté que trois cent mille cette année." Babouc s'informa quel était cet homme qui se plaignait de gagner si peu; il apprit qu'il y avait dans Persépolis quarante rois plébéiens qui tenaient à bail l'empire de Perse, et qui en rendaient quelque chose au monarque. Après dÃner, il alla dans un des plus superbes temples de la ville; il s'assit au milieu d'une troupe de femmes et d'hommes qui étaient venus là pour passer le temps. Un mage parut dans une machine élevée, qui parla longtemps du vice et de la vertu. Ce mage divisa en plusieurs parties ce qui n'avait pas besoin d'être divisé; il prouva méthodiquement tout ce qui était clair; il enseigna tout ce qu'on savait. Il se passionna froidement, et sortit suant et hors d'haleine. Toute l'assemblée alors se réveilla, et crut avoir assisté à une instruction. Babouc dit "Voilà un homme qui a fait de son mieux pour ennuyer deux ou trois cents de ses concitoyens; mais son intention était bonne, et il n'y a pas là de quoi détruire Persépolis." Au sortir de cette assemblée, on le mena voir une fête publique qu'on donnait tous les jours de l'année c'était dans une espèce de basilique, au fond de laquelle on voyait un palais. Les plus belles citoyennes de Persépolis, les plus considérables satrapes, rangés avec ordre, formaient un spectacle si beau que Babouc crut d'abord que c'était là toute la fête. Deux ou trois personnes, qui paraissaient des rois et des reines, parurent bientôt dans le vestibule de ce palais; leur langage était très différent de celui du peuple; il était mesuré, harmonieux, et sublime. Personne ne dormait, on écoutait dans un profond silence, qui n'était interrompu que par les témoignages de la sensibilité et de l'admiration publique. Le devoir des rois, l'amour de la vertu, les dangers des passions, étaient exprimés par des traits si vifs et si touchants que Babouc versa des larmes. Il ne douta pas que ces héros et ces héroïnes, ces rois et ces reines qu'il venait d'entendre, ne fussent les prédicateurs de l'empire; il se proposa même d'engager Ituriel à les venir entendre, bien sûr qu'un tel spectacle les réconcilierait pour jamais avec la ville. Dès que cette fête fut finie, il voulut voir la principale reine qui avait débité dans ce beau palais une morale si noble et si pure; il se fit introduire chez Sa Majesté; on le mena par un petit escalier, au second étage, dans un appartement mal meublé, où il trouva une femme mal vêtue qui lui dit, d'un air noble et pathétique "Ce métier-ci ne me donne pas de quoi vivre; un des princes que vous avez vus m'a fait un enfant; j'accoucherai bientôt; je manque d'argent et sans argent on n'accouche point." Babouc lui donna cent dariques d'or, en disant "S'il n'y avait que ce mal-là dans la ville, Ituriel aurait tort de se tant fâcher." De là il alla passer sa soirée chez des marchands de magnificences inutiles. Un homme intelligent, avec lequel il avait fait connaissance, l'y mena; il acheta ce qui lui plut, et on le lui vendit avec politesse beaucoup plus qu'il ne valait. Son ami, de retour chez lui, lui fit voir combien on le trompait. Babouc mit sur ses tablettes le nom du marchand, pour le faire distinguer par Ituriel au jour de la punition de la ville. Comme il écrivait, on frappa à sa porte; c'était le marchand lui-même qui venait lui rapporter sa bourse, que Babouc avait laissée par mégarde sur son comptoir. "Comment se peut-il, s'écria Babouc, que vous soyez si fidèle et si généreux, après n'avoir pas eu de honte de me vendre des colifichets quatre fois au-dessus de leur valeur? - Il n'y a aucun négociant un peu connu dans cette ville, lui répondit le marchand, qui ne fût venu vous rapporter votre bourse; mais on vous a trompé quand on vous a dit que je vous avais vendu ce que vous avez pris chez moi quatre fois plus qu'il ne vaut je vous l'ai vendu dix fois davantage, et cela est si vrai que, si dans un mois vous voulez le revendre, vous n'en aurez pas même ce dixième. Mais rien n'est plus juste; c'est la fantaisie des hommes qui met le prix à ces choses frivoles; c'est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers que j'emploie; c'est elle qui me donne une belle maison, un char commode, des chevaux; c'est elle qui excite l'industrie, qui entretient le goût, la circulation, et l'abondance. Je vend aux nations voisines les mêmes bagatelles plus chèrement qu'à vous, et par là je suis utile à l'empire." Babouc, après avoir un peu rêvé, le raya de ses tablettes. Babouc, fort incertain sur ce qu'il devait penser de Persépolis, résolut de voir les mages et les lettrés car les uns étudient la sagesse, et les autres la religion; et il se flatta que ceux-là obtiendraient grâce pour le reste du peuple. Dès le lendemain matin il se transporta dans un collège de mages. L'archimandrite lui avoua qu'il avait cent mille écus de rente pour avoir fait voeu de pauvreté, et qu'il exerçait un empire assez étendu en vertu de son voeu d'humilité; après quoi il laissa Babouc entre les mains d'un petit frère qui lui fit les honneurs. Tandis que ce frère lui montrait les magnificences de cette maison de pénitence, un bruit se répandit qu'il était venu pour réformer toutes ces maisons. Aussitôt il reçut des mémoires de chacune d'elles; et les mémoires disaient tous en substance "Conservez-nous, et détruisez toutes les autres." A entendre leurs apologies, ces sociétés étaient toutes nécessaires; à entendre leurs accusations réciproques, elles méritaient toutes d'être anéanties. Il admirait comme il n'y en avait aucune d'elles qui, pour édifier l'univers, ne voulût en avoir l'empire. Alors il se présenta un petit homme qui était un demi-mage, et qui lui dit "Je vois bien que l'oeuvre va s'accomplir, car Zerdust est revenu sur la terre; les petites filles prophétisent en se faisant donner des coups de pincettes par-devant et le fouet par-derrière. Ainsi nous vous demandons votre protection contre le grand-lama. - Comment! dit Babouc, contre ce pontife-roi qui réside au Thibet? - Contre lui-même. - Vous lui faites donc la guerre, et vous levez contre lui des armées? - Non; mais il dit que l'homme est libre et nous n'en croyons rien; nous écrivons contre lui de petits livres qu'il ne lit pas à peine a-t-il entendu parler de nous; il nous a seulement fait condamner, comme un maÃtre ordonne qu'on échenille les arbres de ses jardins." Babouc frémit de la folie de ces hommes qui faisaient profession de sagesse, des intrigues de ceux qui avaient renoncé au monde, de l'ambition et de la convoitise orgueilleuse de ceux qui enseignaient l'humilité et le désintéressement; il conclut qu'Ituriel avait de bonnes raisons pour détruire toute cette engeance. Retiré chez lui, il envoya chercher des livres nouveaux pour adoucir son chagrin, et il pria quelques lettrés à dÃner pour se réjouir. Il en vint deux fois plus qu'il n'en avait demandé, comme les guêpes que le miel attire. Ces parasites se pressaient de manger et de parler; ils louaient deux sortes de personnes, les morts et eux-mêmes, et jamais leurs contemporains, excepté le maÃtre de la maison. Si quelqu'un d'eux disait un bon mot, les autres baissaient les yeux et se mordaient les lèvres de douleur de ne l'avoir pas dit. Ils avaient moins de dissimulation que les mages, parce qu'ils n'avaient pas de si grands objets d'ambition. Chacun d'eux briguait une place de valet et une réputation de grand homme; ils se disaient en face des choses insultantes, qu'ils croyaient des traits d'esprit. Ils avaient eu quelque connaissance de la mission de Babouc. L'un d'eux le pria tout bas d'exterminer un auteur qui ne l'avait pas assez loué il y avait cinq ans; un autre demanda la perte d'un citoyen qui n'avait jamais ri à ses comédies; un troisième demanda l'extinction de l'Académie, parce qu'il n'avait jamais pu parvenir à y être admis. Le repas fini, chacun d'eux s'en alla seul, car il n'y avait pas dans toutes la troupe deux hommes qui pussent se souffrir, ni même se parler ailleurs que chez les riches qui les invitaient à leur table. Babouc jugea qu'il n'y aurait pas grand mal quand cette vermine périrait dans la destruction générale. Dès qu'il se fut défait d'eux, il se mit à lire quelques livres nouveaux. Il y reconnut l'esprit de ses convives. Il vit surtout avec indignation ces gazettes de la médisance, ces archives du mauvais goût, que l'envie, la bassesse et la faim ont dictées; ces lâches satires où l'on ménage le vautour et où l'on déchire la colombe; ces romans dénués d'imagination, où l'on voit tant de portraits de femmes que l'auteur ne connaÃt pas. Il jeta au feu tous ces détestables écrits, et sortit pour aller le soir à la promenade. On le présenta à un vieux lettré qui n'était point venu grossir le nombre de ses parasites. Ce lettré fuyait toujours la foule, connaissait les hommes, en faisait usage, et se communiquait avec discrétion. Babouc lui parla avec douleur de ce qu'il avait lu et de ce qu'il avait vu. "Vous avez lu des choses bien méprisables, lui dit le sage lettré; mais dans tous les temps, et dans tous les pays, et dans tous les genres, le mauvais fourmille, et le bon est rare. Vous avez reçu chez vous le rebut de la pédanterie, parce que, dans toutes les professions, ce qu'il y a de plus indigne de paraÃtre est toujours ce qui se présente avec le plus d'impudence. Les véritables sages vivent entre eux retirés et tranquilles; il y a encore parmi nous des hommes et des livres dignes de votre attention." Dans le temps qu'il parlait ainsi, un autre lettré les joignit; leurs discours furent si agréables et si instructifs, si élevés au-dessus des préjugés et si conformes à la vertu, que Babouc avoua n'avoir jamais rien entendu de pareil. "Voilà des hommes, disait-il tout bas, à qui l'ange Ituriel n'osera toucher, ou il sera bien impitoyable." Accommodé avec les lettrés, il était toujours en colère contre le reste de la nation. "Vous êtes étranger, lui dit l'homme judicieux qui lui parlait; les abus se présentent à vos yeux en foule, et le bien, qui est caché et qui résulte quelquefois de ces abus mêmes, vous échappe." Alors il apprit que parmi les lettrés il y en avait quelques-uns qui n'étaient pas envieux, et que parmi les mages mêmes il y en avait de vertueux. Il conçut à la fin que ces grands corps, qui semblaient en se choquant préparer leurs communes ruines, étaient au fond des institutions salutaires; que chaque société de mages était un frein à ses rivales; que si ces émules différaient dans quelques opinions, ils enseignaient tous la même morale, qu'ils instruisaient le peuple, et qu'ils vivaient soumis aux lois, semblables aux précepteurs qui veillent sur le fils de la maison, tandis que le maÃtre veille sur eux-mêmes. Il en pratiqua plusieurs, et vit des âmes célestes. Il apprit même que parmi les fous qui prétendaient faire la guerre au grand-lama, il y avait eu de très grands hommes. Il soupçonna enfin qu'il pourrait bien en être des moeurs de Persépolis comme des édifices, dont les uns lui avaient paru dignes de pitié, et les autres l'avaient ravi en admiration. Il dit à son lettré "Je connais très bien que ces mages, que j'avais crus si dangereux, sont en effet très utiles, surtout quand un gouvernement sage les empêche de se rendre trop nécessaires; mais vous m'avouerez au moins que vos jeunes magistrats, qui achètent une charge de juge dès qu'ils ont appris à monter à cheval, doivent étaler dans les tribunaux tout ce que l'impertinence a de plus ridicule, et tout ce que l'iniquité a de plus pervers; il vaudrait mieux sans doute donner ces places gratuitement à ces vieux jurisconsultes qui ont passé toute leur vie à peser le pour et le contre." Le lettré lui répliqua "Vous avez vu notre armée avant d'arriver à Persépolis; vous savez que nos jeunes officiers se battent très bien, quoiqu'ils aient acheté leurs charges peut-être verrez-vous que nos jeunes magistrats ne jugent pas mal, quoiqu'ils aient payé pour juger." Il le mena le lendemain au grand tribunal, où l'on devait rendre un arrêt important. La cause était connue de tout le monde. Tous ces vieux avocats qui en parlaient étaient flottants dans leurs opinions; ils alléguaient cent lois, dont aucune n'était applicable au fond de la question; ils regardaient l'affaire par cent côtés, dont aucun n'était dans son vrai jour les juges décidèrent plus vite que les avocats ne doutèrent. Leur jugement fut presque unanime; ils jugèrent bien, parce qu'ils suivaient les lumières de la raison; et les autres avaient opiné mal parce qu'ils n'avaient consulté que leurs livres. Babouc conclut qu'il y avait souvent de très bonnes choses dans les abus. Il vit dès le jour même que les richesses des financiers, qui l'avaient tant révolté, pouvaient produire un effet excellent, car, l'empereur ayant eu besoin d'argent, il trouva en une heure, par leur moyen, ce qu'il n'aurait pas eu en six mois par les voies ordinaires; il vit que ces gros nuages, enflés de la rosée de la terre, lui rendaient en pluie ce qu'ils en recevaient. D'ailleurs, les enfants de ces hommes nouveaux, souvent mieux élevés que ceux des familles plus anciennes, valaient quelquefois beaucoup mieux car rien n'empêche qu'on ne soit un bon juge, un brave guerrier, un homme d'Etat habile, quand on a eu un père bon calculateur. Insensiblement Babouc faisait grâce à l'avidité du financier, qui n'est pas au fond plus avide que les autres hommes, et qui est nécessaire. Il excusait la folie de se ruiner pour juger et pour se battre, folie qui produit de grands magistrats et des héros. Il pardonnait à l'envie des lettrés, parmi lesquels il se trouvait des hommes qui éclairaient le monde; il se réconciliait avec les mages ambitieux et intrigants, chez lesquels il y avait plus de grandes vertus encore que de petits vices; mais il lui restait bien des griefs, et surtout les galanteries des dames, et les désolations qui en devaient être la suite le remplissaient d'inquiétude et d'effroi. Comme il voulait pénétrer dans toutes les conditions humaines, il se fit mener chez un ministre; mais il tremblait toujours en chemin que quelque femme ne fût assassinée en sa présence par son mari. Arrivé chez l'homme d'Etat, il resta deux heures dans l'antichambre sans être annoncé, et deux heures encore après l'avoir été. Il se promettait bien dans cet intervalle de recommander à l'ange Ituriel et le ministre et ses insolents huissiers. L'antichambre était remplie de dames de tout étage, de mages de toutes couleurs, de juges, de marchands, d'officiers, de pédants; tous se plaignaient du ministre. L'avare et l'usurier disaient "Sans doute cet homme-là pille les provinces"; le capricieux lui reprochait d'être bizarre; le voluptueux disait "Il ne songe qu'à ses plaisirs"; l'intrigant se flattait de le voir bientôt perdu par une cabale; les femmes espéraient qu'on leur donneraient bientôt un ministre plus jeune. Babouc entendait leurs discours; il ne put s'empêcher de dire "Voilà un homme bien heureux, il a tous ses ennemis dans son antichambre; il écrase de son pouvoir ceux qui l'envient; il voit à ses pieds ceux qui le détestent." Il entra enfin; il vit un petit vieillard courbé sous le poids des années et des affaires, mais encore vif et plein d'esprit. Babouc lui plut, et il parut à Babouc un homme estimable. La conversation devint intéressante. Le ministre lui avoua qu'il était un homme très malheureux, qu'il passait pour riche, et qu'il était pauvre; qu'on le croyait tout puissant, et qu'il était toujours contredit; qu'il n'avait guère obligé que des ingrats, et que dans un travail continuel de quarante années il avait eu à peine un moment de consolation. Babouc en fut touché, et pensa que, si cet homme avait fait des fautes, et si l'ange Ituriel voulait le punir, il ne fallait pas l'exterminer, mais seulement lui laisser sa place. Tandis qu'il parlait au ministre entre brusquement la belle dame chez qui Babouc avait dÃné; on voyait dans ses yeux et sur son front les symptômes de la douleur et de la colère. Elle éclata en reproches contre l'homme d'Etat, elle versa des larmes; elle se plaignit avec amertume de ce qu'on avait refusé à son mari une place où sa naissance lui permettait d'aspirer, et que ses services et ses blessures méritaient; elle s'exprima avec tant de force, elle mit tant de grâce dans ses plaintes, elle détruisit les objections avec tant d'adresse, elle fit valoir les raisons avec tant d'éloquence, qu'elle ne sortit point de la chambre sans avoir fait la fortune de son mari. Babouc lui donna la main "Est-il possible, madame, lui dit-il, que vous vous soyez donné toute cette peine pour un homme que vous n'aimez point, et dont vous avez tout à craindre? - Un homme que je n'aime point! s'écria-t-elle; sachez que mon mari est le meilleur ami que j'aie au monde, qu'il n'y a rine que je ne lui sacrifie, hors mon amant; et qu'il ferait tout pour moi, hors de quitter sa maÃtresse. Je veux vous la faire connaÃtre c'est une femme charmante, pleine d'esprit, et du meilleur caractère du monde; nous soupons ensemble ce soir avec mon mari et mon petit mage, venez partager notre joie." La dame mena Babouc chez elle. Le mari qui était enfin arrivé plongé dans la douleur, revit sa femme avec des transports d'allégresse et de reconnaissance il embrassait tour à tour sa femme, sa maÃtresse, le petit mage, et Babouc. L'union, la gaieté, l'esprit, et les grâces, furent l'âme de ce repas. "Apprenez, lui dit la belle dame chez laquelle il soupait, que celles qu'on appelle quelquefois de malhonnêtes femmes ont presque toujours le mérite d'un très honnête homme; et pour vous en convaincre, venez demain dÃner avec moi chez la belle Téone. Il y a quelques vieilles vestales qui la déchirent; mais elle fait plus de bien qu'elles toutes ensemble. Elle ne commettrait pas une légère injustice pour le grand intérêt; elle ne donne à son amant que des conseils généreux; elle n'est occupée que de sa gloire il rougirait devant elle s'il avait laissé échapper une occasion de faire du bien, car rien n'encourage plus aux actions vertueuses que d'avoir pour témoin et pour juge de sa conduite une maÃtresse dont on veut mériter l'estime." Babouc ne manqua pas au rendez-vous. Il vit une maison où régnaient tous les plaisirs. Téone régnait sur eux; elle savait parler à chacun son langage. Son esprit naturel mettait à son aise celui des autres; elle plaisait sans presque le vouloir; elle était aussi aimable que bienfaisante; et, ce qui augmentait le prix de toutes ses bonnes qualités, elle était belle. Babouc, tout Scythe et tout envoyé qu'il était d'un génie, s'aperçut que, s'il restait encore à Persépolis, il oublierait Ituriel pour Téone. Il s'affectionnait à la ville, dont le peuple était poli, doux et bienfaisant, quoique léger, médisant, et plein de vanité. Il craignait que Persépolis ne fût condamnée; il craignait même le compte qu'il allait rendre. Voici comme il s'y prit pour rendre ce compte. Il fit faire par le meilleur fondeur de la ville une petite statue composée de tous les métaux, des terres et des pierres les plus précieuses et les plus viles; il la porta à Ituriel "Casserez-vous, dit-il, cette jolie statue parce que tout n'y est pas or et diamants?" Ituriel entendit à demi-mot; il résolut de ne pas même songer à corriger Persépolis, et de laisser aller le monde comme il va "car, dit-il, si tout n'est pas bien, tout est passable". On laissa donc subsister Persépolis, et Babouc fut bien loin de se plaindre, comme Jonas, qui se fâcha de ce qu'on ne détruisait pas Ninive. Mais quand on a été trois jours dans le corps d'une baleine, on n'est pas de si bonne humeur que quand on a été à l'opéra, à la comédie, et qu'on a soupé en bonne compagnie. Zadig, ou la destinée Histoire Orientale Epitre dédicatoire de Zadig à la sultane Shéraa par Sadi Le 10 du mois de Schewal, l'an 837 de l'hégire. Charme de prunelles, tourment des coeurs, lumière de l'esprit, je ne baise point la poussière de vos pieds, parce que vous ne marchez guère, ou que vous marchez sur des tapis d'Iran ou sur des roses. Je vous offre la traduction d'un livre d'un ancien sage qui, ayant le bonheur de n'avoir rien à faire, eut celui de s'amuser à écrire l'histoire de Zadig, ouvrage qui dit plus qu'il ne semble dire. Je vous prie de le lire et d'en juger car, quoique vous soyez dans le printemps de votre vie, quoique tous les plaisirs vous cherchent, quoique vous soyez belle, et que vos talents ajoutent à votre beauté; quoiqu'on vous loue du soir au matin, et que par toutes ces raisons vous soyez en droit de n'avoir pas le sens commun, cependant vous avez l'esprit très sage et le goût très fin, et je vous ai entendue raisonner mieux que de vieux derviches à longue barbe et à bonnet pointu. Vous êtes discrète et vous n'êtes point défiante; vous êtes douce sans être faible; vous êtes bienfaisante avec discernement; vous aimez vos amis, et vous ne vous faites point d'ennemis. Votre esprit n'emprunte jamais ses agréments des traits de la médisance; vous ne dites de mal ni n'en faites, malgré la prodigieuse facilité que vous y auriez. Enfin votre âme m'a toujours paru pure comme votre beauté. Vous avez même un petit fonds de philosophie qui m'a fait croire que vous prendriez plus de goût qu'une autre à cet ouvrage d'un sage. Il fut écrit d'abord en ancien chaldéen, que ni vous ni moi n'entendons. On le traduisit en arabe, pour amuser le célèbre sultan Ouloug-beb. C'était du temps où les Arabes et les Persans commençaient à écrire des Mille et une Nuits, des Mille et un Jours, etc. Ouloug aimait mieux la lecture de Zadig; mais les sultanes aimaient mieux les Mille et un. "Comment pouvez-vous préférer, leur disait le sage Ouloug, des contes qui sont sans raison, et qui ne signifient rien? - C'est précisément pour cela que nous les aimons, répondaient les sultanes." Je me flatte que vous ne leur ressemblerez pas, et que vous serez un vrai Ouloug. J'espère même que, quand vous serez lasse des conversations générales, qui ressemblent assez aux Mille et un, à cela près qu'elles sont moins amusantes, je pourrai trouver une minute pour avoir l'honneur de vous parler raison. Si vous aviez été Thalestris du temps de Scander, fils de Philippe; si vous aviez été la reine de Sabée du temps de Soleiman, c'eussent été ces rois qui auraient fait le voyage. Je prie les vertus célestes que vos plaisirs soient sans mélange, votre beauté durable, et votre bonheur sans fin. Le borgne Du temps du roi Moabdar il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l'éducation. Quoique riche et jeune, il savait modérer ses passions; il n'affectait rien; il ne voulait point toujours avoir raison, et savait respecter la faiblesse des hommes. On était étonné de voir qu'avec beaucoup d'esprit il n'insultât jamais par des railleries à ces propos si vagues, si rompus, si tumultueux, à ces médisances téméraires, à ces décisions ignorantes, à ces turlupinades grossières, à ce vain bruit de paroles, qu'on appelait conversation dans Babylone. Il avait appris, dans le premier livre de Zoroastre, que l'amour-propre est un ballon gonflé de vent, dont il sort des tempêtes quand on lui a fait une piqûre. Zadig surtout ne se vantait pas de mépriser les femmes et de les subjuguer. Il était généreux; il ne craignait point d'obliger des ingrats, suivant ce grand précepte de Zoroastre Quand tu manges, donne à manger aux chiens, dussent-ils te mordre. Il était aussi sage qu'on peut l'être car il cherchait à vivre avec des sages. Instruit dans les sciences des anciens Chaldéens, il n'ignorait pas les principes physiques de la nature, tels qu'on les connaissait alors, et savait de la métaphysique ce qu'on en a su dans tous les âges, c'est-à -dire fort peu de chose. Il était fermement persuadé que l'année était de trois cent soixante et cinq jours et un quart, malgré la nouvelle philosophie de son temps, et que le soleil était au centre du monde; et quand les principaux mages lui disaient, avec une hauteur insultante, qu'il avait de mauvais sentiments, et que c'était être ennemi de l'Etat que de croire que le soleil tournait sur lui-même, et que l'année avait douze mois, il se taisait sans colère et sans dédain. Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un coeur sincère et noble, crut qu'il pouvait être heureux. Il devait se marier à Sémire, que sa beauté, sa naissance et sa fortune rendaient le premier parti de Babylone. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, et Sémire l'aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir, lorsque, se promenant ensemble vers une porte de Babylone, sous les palmiers qui ornaient les rivages de l'Euphrate, ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches. C'étaient les satellites du jeune Orcan, neveu d'un ministre, à qui les courtisans de son oncle avaient fait accroire que tout lui était permis. Il n'avait aucune des grâces ni des vertus de Zadig; mais, croyant valoir beaucoup mieux, il était désespéré de n'être pas préféré. Cette jalousie, qui ne venait que de sa vanité, lui fit penser qu'il aimait éperdument Sémire. Il voulait l'enlever. Les ravisseurs la saisirent, et dans les emportements de leur violence ils la blessèrent, et firent couler le sang d'une personne dont la vue aurait attendri les tigres du mont Imaüs. Elle perçait le ciel de ses plaintes. Elle s'écriait "Mon cher époux! on m'arrache à ce que j'adore." Elle n'était point occupée de son danger; elle ne pensait qu'à son cher Zadig. Celui-ci, dans le même temps, la défendait avec toute la force que donnent la valeur et l'amour. Aidé seulement de deux esclaves, il mit les ravisseurs en fuite, et ramena chez elle Sémire, évanouie et sanglante, qui en ouvrant les yeux vit son libérateur. Elle lui dit "O Zadig! Je vous aimais comme mon époux; je vous aime comme celui à qui je dois l'honneur et la vie." Jamais il n'y eut un coeur plus pénétré que celui de Sémire. Jamais bouche plus ravissante n'exprima des sentiments plus touchants par ces paroles de feu qu'inspirent le sentiment du plus grand des bienfaits et le transport le plus tendre de l'amour le plus légitime. Sa blessure était légère; elle guérit bientôt. Zadig était blessé plus dangereusement; un coup de flèche reçu près de l'oeil lui avait fait une plaie profonde. Sémire ne demandait aux dieux que la guérison de son amant. Ses yeux étaient nuit et jour baignés de larmes elle attendait le moment où ceux de Zadig pourraient jouir de ses regards; mais un abcès survenu à l'oeil blessé fit tout craindre. On envoya jusqu'à Memphis chercher le grand médecin Hermès, qui vint avec un nombreux cortège. Il visita le malade, et déclara qu'il perdrait l'oeil; il prédit même le jour et l'heure où ce funeste accident devait arriver. "Si c'eût été l'oeil droit, dit-il, je l'aurais guéri; mais les plaies de l'oeil gauche sont incurables." Tout Babylone, en plaignant la destinée de Zadig, admira la profondeur de la science d'Hermès. Deux jours après, l'abcès perça de lui-même; Zadig fut guéri parfaitement. Hermès écrivit un livre où il lui prouva qu'il n'avait pas dû guérir. Zadig ne le lut point; mais, dès qu'il put sortir, il se prépara à rendre visite à celle qui faisait l'espérance du bonheur de sa vie, et pour qui seule il voulait avoir des yeux. Sémire était à la campagne depuis trois jours. Il apprit en chemin que cette belle dame, ayant déclaré hautement qu'elle avait une aversion insurmontable pour les borgnes, venait de se marier à Orcan lui-même. A cette nouvelle il tomba sans connaissance; sa douleur le mit au bord du tombeau; il fut longtemps malade, mais enfin la raison l'emporta sur son affliction; et l'atrocité de ce qu'il éprouvait servit même à le consoler. "Puisque j'ai essuyé, dit-il, un si cruel caprice d'une fille élevée à la cour, il faut que j'épouse une citoyenne." Il choisit Azora, la plus sage et la mieux née de la ville; il l'épousa, et vécut un mois avec elle dans les douceurs de l'union la plus tendre. Seulement il remarquait en elle un peu de légèreté, et beaucoup de penchant à trouver toujours que les jeunes gens les mieux faits étaient ceux qui avaient le plus d'esprit et de vertu. Le nez Un jour, Azora revint d'une promenade toute en colère et faisant de grandes exclamations. "Qu'avez-vous, lui dit-il, ma chère épouse? qui vous peut mettre ainsi hors de vous-même? - Hélas! dit-elle, vous seriez comme moi, si vous aviez vu le spectacle dont je viens d'être témoin. J'ai été consoler la jeune veuve Cosrou, qui vient d'élever, depuis deux jours, un tombeau à son jeune époux auprès du ruisseau qui borde cette prairie. Elle a promis aux dieux, dans sa douleur, de demeurer auprès de ce tombeau tant que l'eau de ce ruisseau coulerait auprès. - Eh bien! dit Zadig, voilà une femme estimable qui aimait véritablement son mari! - Ah! reprit Azora, si vous saviez à quoi elle s'occupait quand je lui ai rendu visite! - A quoi donc, belle Azora? - Elle faisait détourner le ruisseau." Azora se répandit en des invectives si longues, éclata en reproches si violents contre la jeune veuve, que ce faste de vertu ne plut pas à Zadig. Il avait un ami, nommé Cador, qui était un de ce jeunes gens à qui sa femme trouvait plus de probité et de mérite qu'aux autres; il le mit dans sa confidence, et s'assura, autant qu'il le pouvait, de sa fidélité par un présent considérable. Azora, ayant passé deux jours chez une de ses amies à la campagne, revint le troisième jour à la maison. Des domestiques en pleurs lui annoncèrent que son mari était mort subitement la nuit même, qu'on n'avait pas osé lui porter cette funeste nouvelle, et qu'on venait d'ensevelir Zadig dans le tombeau de ses pères, au bout du jardin. Elle pleura, s'arracha les cheveux, et jura de mourir. Le soir, Cador lui demanda la permission de lui parler, et ils pleurèrent tous deux. Le lendemain ils pleurèrent moins et dÃnèrent ensemble. Cador lui confia que son ami lui avait laissé la plus grande partie de son bien, et lui fit entendre qu'il mettrait son bonheur à partager sa fortune avec elle. La dame pleura, se fâcha, s'adoucit; le souper fut plus long que le dÃner; on se parla avec plus de confiance. Azora fit l'éloge du défunt; mais elle avoua qu'il avait des défauts dont Cador était exempt. Au milieu du souper, Cador se plaignit d'un mal de rate violent; la dame, inquiète et empressée, fit apporter toutes les essences dont elle se parfumait pour essayer s'il n'y en avait pas quelqu'une qui fût bonne pour le mal de rate; elle regretta beaucoup que le grand Hermès ne fût pas encore à Babylone; elle daigna même toucher le côté où Cador sentait de si vives douleurs. "Etes-vous sujet à cette cruelle maladie? lui dit-elle avec compassion. - Elle me met quelquefois au bord du tombeau, lui répondit Cador, et il n'y a qu'un seul remède qui puisse me soulager c'est de m'appliquer sur le côté le nez d'un homme qui soit mort la veille. - Voilà un étrange remède, dit Azora. - Pas plus étrange, répondit-il, que les sachets du sieur Arnou contre l'apoplexie." Cette raison, jointe à l'extrême mérite du jeune homme, détermina enfin la dame. "Après tout, dit-elle, quand mon mari passera du monde d'hier dans le monde du lendemain sur le pont Tchinavar, l'ange AsraÃl lui accordera-t-il moins le passage parce que son nez sera un peu moins long dans la seconde vie que dans la première?" Elle prit donc un rasoir; elle alla au tombeau de son époux, l'arrosa de ses larmes, et s'approcha pour couper le nez à Zadig, qu'elle trouva tout étendu dans la tombe. Zadig se relève en tenant son nez d'une main, et arrêtant le rasoir de l'autre. "Madame lui dit-il, ne criez plus tant contre la jeune Cosrou; le projet de me couper le nez vaut bien celui de détourner un ruisseau." Le chien et le cheval Zadig éprouva que le premier mois du mariage, comme il est écrit dans le livre du Zend, est la lune du miel, et que le second est la lune de l'absinthe. Il fut quelque temps après obligé de répudier Azora, qui était devenue trop difficile à vivre, et il chercha son bonheur dans l'étude de la nature. "Rien n'est plus heureux, disait-il, qu'un philosophe qui lit dans ce grand livre que Dieu a mis sous nos yeux. Les vérités qu'il découvre sont à lui il nourrit et il élève son âme, il vit tranquille; il ne craint rien des hommes, et sa tendre épouse ne vient point lui couper le nez." Plein de ces idées, il se retira dans une maison de campagne sur les bords de l'Euphrate. Là il ne s'occupait pas à calculer combien de pouces d'eau coulaient en une seconde sous les arches d'un pont, ou s'il tombait une ligne cube de pluie dans le mois de la souris plus que dans le mois du mouton. Il n'imaginait point de faire de la soie avec des toiles d'araignée, ni de la porcelaine avec des bouteilles cassées, mais il étudia surtout les propriétés des animaux et des plantes, et il acquit bientôt une sagacité qui lui découvrait mille différences où les autres hommes ne voient rien que d'uniforme. Un jour, se promenant auprès d'un petit bois, il vit accourir à lui un eunuque de la reine, suivi de plusieurs officiers qui paraissaient dans la plus grande inquiétude, et qui couraient çà et là comme des hommes égarés qui cherchent ce qu'ils ont perdu de plus précieux. "Jeune homme, lui dit le premier eunuque, n'avez-vous point vu le chien de la reine?" Zadig répondit modestement "C'est une chienne, et non pas un chien. - Vous avez raison, reprit le premier eunuque. - C'est une épagneule très petite, ajouta Zadig; elle a fait depuis peu des chiens; elle boite du pied gauche de devant, et elle a les oreilles très longues. - Vous l'avez donc vue, dit le premier eunuque tout essoufflé. - Non, répondit Zadig, je ne l'ai jamais vue, et je n'ai jamais su si la reine avait une chienne." Précisément dans le même temps, par une bizarrerie ordinaire de la fortune, le plus beau cheval de l'écurie du roi s'était échappé des mains d'un palefrenier dans les plaines de Babylone. Le grand veneur et tous les autres officiers couraient après lui avec autant d'inquiétude que le premier eunuque après la chienne. Le grand veneur s'adressa à Zadig, et lui demanda s'il n'avait point vu passer le cheval du roi. "C'est, répondit Zadig, le cheval qui galope le mieux; il a cinq pieds de haut, le sabot fort petit; il porte une queue de trois pieds et demi de long; les bossettes de son mors sont d'or à vingt-trois carats; ses fers sont d'argent à onze deniers. - Quel chemin a-t-il pris? Où est-il? demanda le grand veneur. - Je ne l'ai point vu, répondit Zadig, et je n'en ai jamais entendu parler." Le grand veneur et le premier eunuque ne doutèrent pas que Zadig n'eût volé le cheval du roi et la chienne de la reine; ils le firent conduire devant l'assemblée du grand Desterham, qui le condamna au knout, et à passer le reste de ses jours en Sibérie. A peine le jugement fut-il rendu qu'on retrouva le cheval et la chienne. Les juges furent dans la douloureuse nécessité de réformer leur arrêt; mais ils condamnèrent Zadig à payer quatre cents onces d'or pour avoir dit qu'il n'avait point vu ce qu'il avait vu. Il fallut d'abord payer cette amende; après quoi il fut permis à Zadig de plaider sa cause au conseil du grand Desterham; il parla en ces termes "Etoiles de justice, abÃmes de science, miroirs de vérité, qui avez la pesanteur du plomb, la dureté du fer, l'éclat du diamant et beaucoup d'affinité avec l'or puisqu'il m'est permis de parler devant cette auguste assemblée, je vous jure par Orosmade que je n'ai jamais vu la chienne respectable de la reine, ni le cheval sacré du roi des rois. Voici ce qui m'est arrivé. Je me promenais vers le petit bois où j'ai rencontré depuis le vénérable eunuque et le très illustre grand veneur. J'ai vu sur le sable les traces d'un animal, et j'ai jugé aisément que c'étaient celles d'un petit chien. Des sillons légers et longs, imprimés sur de petites éminences de sable entre les traces des pattes, m'ont fait connaÃtre que c'était une chienne dont les mamelles étaient pendantes, et qu'ainsi elle avait [fait] des petits il y a peu de jours. D'autres traces en un sens différent, qui paraissaient toujours avoir rasé la surface du sable à côté des pattes de devant, m'ont appris qu'elle avait les oreilles très longues; et, comme j'ai remarqué que le sable était toujours moins creusé par une patte que par les trois autres; j'ai compris que la chienne de notre auguste reine était un peu boiteuse, si je l'ose dire. "A l'égard du cheval du roi des rois, vous saurez que, me promenant dans les routes de ce bois j'ai aperçu les marques des fers d'un cheval; elles étaient toutes à égales distances. Voilà , ai-je dit, un cheval qui a un galop parfait. La poussière des arbres, dans une route étroite qui n'a que sept pieds de large, était un peu enlevée à droite et à gauche, à trois pieds et demi du milieu de la route. Ce cheval, ai-je dit, a une queue de trois pieds et demi, qui, par ses mouvements de droite et de gauche, a balayé cette poussière. J'ai vu sous les arbres, qui formaient un berceau de cinq pieds de haut, les feuilles des branches nouvellement tombées; et j'ai connu que ce cheval y avait touché, et qu'ainsi il avait cinq pieds de haut. Quant à son mors, il doit être d'or à vingt-trois carats car il en a frotté les bossettes contre une pierre que j'ai reconnue être une pierre de touche, et dont j'ai fait l'essai. J'ai jugé enfin, par les marques que ses fers ont laissées sur des cailloux d'une autre espèce, qu'il était ferré d'argent à onze deniers de fin." Tous les juges admirèrent le profond et subtil discernement de Zadig la nouvelle en vint jusqu'au roi et à la reine. On ne parlait que de Zadig dans les antichambres, dans la chambre, et dans le cabinet; et quoique plusieurs mages opinassent qu'on devait le brûler comme sorcier, le roi ordonna qu'on lui rendÃt l'amende de quatre cents onces d'or à laquelle il avait été condamné. Le greffier, les huissiers, les procureurs vinrent chez lui en grand appareil lui rapporter ses quatre cents onces; ils en retinrent seulement trois cent quatre-vingt-dix-huit pour les frais de justice, et leurs valets demandèrent des honoraires. Zadig vit combien il était dangereux quelquefois d'être trop savant, et se promit bien, à la première occasion, de ne point dire ce qu'il avait vu. Cette occasion se trouva bientôt. Un prisonnier d'Etat s'échappa; il passa sous les fenêtres de sa maison. On interrogea Zadig, il ne répondit rien; mais on lui prouva qu'il avait regardé par la fenêtre. Il fut condamné pour ce crime à cinq cents onces d'or, et il remercia ses juges de leur indulgence, selon la coutume de Babylone. "Grand Dieu! dit-il en lui-même, qu'on est à plaindre quand on se promène dans un bois où la chienne de la reine et le cheval du roi ont passé! qu'il est dangereux de se mettre à la fenêtre! et qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie!" L'envieux Zadig voulut se consoler, par la philosophie et par l'amitié, des maux que lui avait faits la fortune. Il avait dans un faubourg de Babylone une maison ornée avec goût, où il rassemblait tous les arts et tous les plaisirs dignes d'un honnête homme. Le matin, sa bibliothèque était ouverte à tous les savants; le soir, sa table l'était à la bonne compagnie; mais il connut bientôt combien les savants sont dangereux; il s'éleva une grande dispute sur une loi de Zoroastre, qui défendait de manger du griffon. "Comment défendre le griffon, disaient les uns, si cet animal n'existe pas? - Il faut bien qu'il existe, disaient les autres, puisque Zoroastre ne veut pas qu'on en mange." Zadig voulut les accorder en leur disant "S'il y a des griffons, n'en mangeons point; s'il n'y en a point, nous en mangerons encore moins; et par là nous obéirons tous à Zoroastre." Un savant, qui avait composé treize volumes sur les propriétés du griffon, et qui de plus était grand théurgite, se hâta d'aller accuser Zadig devant un archimage nommé Yébor, le plus sot des Chaldéens, et partant le plus fanatique. Cet homme aurait fait empaler Zadig pour la plus grande gloire du soleil, et en aurait récité le bréviaire de Zoroastre d'un ton plus satisfait. L'ami Cador un ami vaut mieux que cent prêtres alla trouver le vieux Yébor, et lui dit "Vivent le soleil et les griffons! gardez-vous bien de punir Zadig c'est un saint; il a des griffons dans sa basse-cour, et il n'en mange point; et son accusateur est un hérétique qui ose soutenir que les lapins ont le pied fendu, et ne sont point immondes. - Eh bien! dit Yébor en branlant sa tête chauve, il faut empaler Zadig pour avoir mal pensée des griffons, et l'autre pour avoir mal parlé des lapins." Cador apaisa l'affaire par le moyen d'une fille d'honneur à laquelle il avait fait un enfant, et qui avait beaucoup de crédit dans le collège des mages. Personne ne fut empalé; de quoi plusieurs docteurs murmurèrent, et en présagèrent la décadence de Babylone. Zadig s'écria "A quoi tient le bonheur! Tout me persécute dans ce monde, jusqu'aux êtres qui n'existent pas." Il maudit les savants, et ne voulut plus vivre qu'en bonne compagnie. Il rassemblait chez lui les plus honnêtes gens de Babylone, et les dames les plus aimables; il donnait des soupers délicats, souvent précédés de concerts, et animés par des conversations charmantes dont il avait su bannir l'empressement de montrer de l'esprit, qui est la plus sûre manière de n'en point avoir, et de gâter la société la plus brillante. Ni le choix de ses amis, ni celui des mets, n'étaient faits par la vanité car en tout il préférait l'être au paraÃtre, et par là il s'attirait la considération véritable, à laquelle il ne prétendait pas. Vis-à -vis sa maison demeurait Arimaze, personnage dont la méchante âme était peinte sur sa grossière physionomie. Il était rongé de fiel et bouffi d'orgueil, et pour comble, c'était un bel esprit ennuyeux. N'ayant jamais pu réussir dans le monde, il se vengeait par en médire. Tout riche qu'il était, il avait de la peine à rassembler chez lui des flatteurs. Le bruit des chars qui entraient le soir chez Zadig l'importunait, le bruit de ses louanges l'irritait davantage. Il allait quelquefois chez Zadig, et se mettait à table sans être prié il y corrompait toute la joie de la société, comme on dit que les harpies infectent les viandes qu'elles touchent. Il lui arriva un jour de vouloir donner une fête à une dame qui, au lieu de la recevoir, alla souper chez Zadig. Un autre jour, causant avec lui dans le palais, ils abordèrent un ministre qui pria Zadig à souper, et ne pria point Arimaze. Les plus implacables haines n'ont pas souvent des fondements plus importants. Cet homme qu'on appelait "l'envieux" dans Babylone voulut perdre Zadig parce qu'on l'appelait "l'heureux". L'occasion de faire du mal se trouve cent fois par jour, et celle de faire du bien, une fois dans l'année, comme dit Zoroastre. L'envieux alla chez Zadig, qui se promenait dans ses jardins avec deux amis et une dame à laquelle il disait souvent des choses galantes, sans autre intention que celle de les dire. La conversation roulait sur une guerre que le roi venait de terminer heureusement contre le prince d'Hyrcanie, son vassal. Zadig, qui avait signalé son courage dans cette courte guerre, louait beaucoup le roi et encore plus la dame. Il prit ses tablettes et écrivit quatre vers qu'il fit sur le champ, et qu'il donna à lire à cette belle personne. Ses amis le prièrent de leur en faire part la modeste, ou plutôt un amour-propre bien entendu, l'en empêcha. Il savait que des vers impromptus ne sont jamais bons que pour celle en l'honneur de qui ils sont faits il brisa en deux la feuille des tablettes sur laquelle il venait d'écrire, et jeta les deux moitiés dans un buisson de roses, où on les chercha inutilement. Une petite pluie survint; on regagna la maison. L'envieux, qui resta dans le jardin, chercha tant, qu'il trouva un morceau de la feuille. Elle avait été tellement rompue que chaque moitié de vers qui remplissait la ligne faisait un sens, et même un vers d'une plus petite mesure; mais, par un hasard encore plus étrange, ces petits vers se trouvaient former un sens qui contenait les injures les plus horribles contre le roi; on y lisait Par les plus grands forfaits Sur le trône affermi, Dans la publique paix C'est le seul ennemi. L'envieux fut heureux pour la première fois de sa vie. Il avait entre les mains de quoi perdre un homme vertueux et aimable. Plein de cette cruelle joie, il fit parvenir jusqu'au roi cette satire écrite de la main de Zadig on le fit mettre en prison, lui, ses deux amis, et la dame. Son procès lui fut bientôt fait, sans qu'on daignât l'entendre. Lorsqu'il vint recevoir sa sentence, l'envieux se trouva sur son passage et lui dit tout haut que ses vers ne valaient rien. Zadig ne se piquait pas d'être bon poète; mais il était au désespoir d'être condamné comme criminel de lèse-majesté, et de voir qu'on retÃnt en prison une belle dame et deux amis pour un crime qu'il n'avait pas fait. On ne lui permit de parler, parce que ses tablettes parlaient telle était la loi de Babylone. On le fit donc aller au supplice à travers une foule de curieux dont aucun n'osait le plaindre, et qui se précipitaient pour examiner son visage et pour voir s'il mourrait avec bonne grâce. Ses parents seulement étaient affligés, car ils n'héritaient pas. Les trois quarts de son bien étaient confisqués au profit du roi, et l'autre quart au profit de l'envieux. Dans le temps qu'il se préparait à la mort, le perroquet du roi s'envola de son balcon, et s'abattit dans le jardin de Zadig sur un buisson de roses. Un pêche y avait été portée d'un arbre voisin par le vent; elle était tombée sur un morceau de tablettes à écrire auquel elle s'était collée. L'oiseau enleva la pêche et la tablette, et les porta sur les genoux du monarque. Le prince, curieux, y lut des mots qui ne formaient aucun sens, et qui paraissaient des fins de vers. Il aimait la poésie, et il y a toujours de la ressource avec les princes qui aiment les vers l'aventure de son perroquet le fit rêver. La reine, qui se souvenait de ce qui avait été écrit sur une pièce de la tablette de Zadig, se la fit apporter. On confronta les deux morceaux, qui s'ajustaient ensemble parfaitement; on lut alors les vers tels que Zadig les avait faits Par les plus grands forfaits j'ai vu troubler la terre. Sur le trône affermi le roi sait tout dompter. Dans la publique paix l'amour seul fait la guerre C'est le seul ennemi qui soit à redouter. Le roi ordonna aussitôt qu'on fÃt venir Zadig devant lui, et qu'on fÃt sortir de prison ses deux amis et la belle dame. Zadig se jeta le visage contre terre, aux pieds du roi et de la reine il leur demanda très humblement pardon d'avoir fait de mauvais vers; il parla avec tant de grâce, d'esprit, et de raison, que le roi et la reine voulurent le revoir. Il revint, et plut encore davantage. On lui donna tous les biens de l'envieux, qui l'avait injustement accusé mais Zadig les rendit tous, et l'envieux ne fut touché que du plaisir de ne pas perdre son bien. L'estime du roi s'accrut de jour en jour pour Zadig. Il le mettait de tous ses plaisirs, et le consultait dans toutes ses affaires. La reine le regarda dès lors avec une complaisance qui pouvait devenir dangereuse pour elle, pour le roi son auguste époux, pour Zadig, et pour le royaume. Zadig commençait à croire qu'il n'est pas difficile d'être heureux. Les généreux Le temps arriva où l'on célébrait une grande fête qui revenait tous les cinq ans. C'était la coutume à Babylone de déclarer solennellement au bout de cinq années, celui des citoyens qui avait fait l'action la plus généreuse. Les grands et les mages étaient les juges. Le premier satrape, chargé du soin de la ville, exposait les plus belles actions qui s'étaient passées sous son gouvernement. On allait aux voix le roi prononçait le jugement. On venait à cette solennité des extrémités de la terre. Le vainqueur recevait des mains du monarque une coupe d'or garnie de pierreries, et le roi lui disait ces paroles "Recevez ce prix de la générosité, et puissent les dieux me donner beaucoup de sujets qui vous ressemblent!" Ce jour mémorable venu, le roi parut sur son trône, environné des grands, des mages, et des députés de toutes les nations, qui venaient à ces jeux où la gloire s'acquérait non par la légèreté des chevaux, non par la force du corps, mais par la vertu. Le premier satrape rapporta à haute voix les actions qui pouvaient mériter à leurs auteurs ce prix inestimable. Il ne parla point de la grandeur d'âme avec laquelle Zadig avait rendu à l'envieux toute sa fortune ce n'était pas une action qui méritât de disputer le prix. Il présenta d'abord un juge qui, ayant fait perdre un procès considérable à un citoyen, par une méprise dont il n'était pas même responsable, lui avait donné tout son bien, qui était la valeur de ce que l'autre avait perdu. Il produit ensuite un jeune homme qui, étant éperdument épris d'une fille qu'il allait épouser, l'avait cédée à un ami près d'expirer d'amour pour elle, et qui avait encore payé la dot en cédant la fille. Ensuite il fit paraÃtre un soldat qui, dans la guerre d'Hyrcanie, avait donné encore un plus grand exemple de générosité. Des soldats ennemis lui enlevaient sa maÃtresse, et il la défendait contre eux on vint lui dire que d'autres Hyrcaniens enlevaient sa mère à quelques pas de là ; il quitta en pleurant sa maÃtresse, et courut délivrer sa mère; il retourna ensuite vers celle qu'il aimait, et la trouva expirante. Il voulut se tuer sa mère lui remontra qu'elle n'avait que lui pour tout secours, et il eut le courage de souffrir la vie. Les juges penchaient pour ce soldat. Le roi prit la parole, et dit "Son action et celle des autres sont belles, mais elles ne m'étonnent point; hier, Zadig en a fait une qui m'a étonné. J'avais disgracié depuis quelques jours mon ministre et mon favori Coreb. Je me plaignais de lui avec violence, et tous mes courtisans m'assuraient que j'étais trop doux c'était à qui me dirait le plus de mal de Coreb. Je demandai à Zadig ce qu'il en pensait, et il osa en dire du bien. J'avoue que j'ai vu, dans nos histoires, des exemples qu'on a payé de son bien une erreur, qu'on a cédé sa maÃtresse, qu'on a préféré une mère à l'objet de son amour; mais je n'ai jamais lu qu'un courtisan ait parlé avantageusement d'un ministre disgracié contre qui son souverain était en colère. Je donne vingt mille pièces d'or à chacun de ceux dont on vient de réciter les actions généreuses; mais je donne la coupe à Zadig. - Sire, lui dit-il, c'est Votre Majesté seule qui mérite la coupe, c'est elle qui a fait l'action la plus inouïe, puisque, étant roi, vous ne vous êtes point faché contre votre esclave, lorsqu'il contredisait votre passion." On admira le roi et Zadig. Le juge qui avait donné son bien, l'amant qui avait marié sa maÃtresse à son ami, le soldat qui avait préféré le salut de sa mère à celui de sa maÃtresse, reçurent les présents du monarque ils virent leurs noms écrits dans le livre des généreux. Zadig eut la coupe. Le roi acquit la réputation d'un bon prince, qu'il ne garda pas longtemps. Ce jour fut consacré par des fêtes plus longues que la loi ne le portait. La mémoire s'en conserve encore dans l'Asie. Zadig disait "Je suis donc enfin heureux!" Mais il se trompait. Le ministre Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. Toutes les belles dames de Babylone applaudirent à ce choix, car depuis la fondation de l'empire il n'y avait jamais eu de ministre si jeune. Tous les courtisans furent fâchés; l'envieux en eut un crachement de sang, et le nez lui enfla prodigieusement. Zadig, ayant remercié le roi et la reine, alla remercier aussi le perroquet "Bel oiseau, lui dit-il, c'est vous qui m'avez sauvé la vie; et qui m'avez fait premier ministre la chienne et le cheval de Leurs Majestés m'avaient fait beaucoup de mal, mais vous m'avez fait du bien. Voilà donc de quoi dépendent les destins des hommes! Mais, ajouta-t-il, un bonheur si étrange sera peut-être bientôt évanoui." Le perroquet répondit "Oui." Ce mot frappa Zadig. Cependant, comme il était bon physicien, et qu'il ne croyait pas que les perroquets fussent prophètes, il se rassura bientôt et se mit à exercer son ministère de son mieux. Il fit sentir à tout le monde le pouvoir sacré des lois, et ne fit sentir à personne le poids de sa dignité. Il ne gêna point les voix du divan, et chaque vizir pouvait avoir un avis sans lui déplaire. Quand il jugeait une affaire, ce n'était pas lui qui jugeait, c'était la loi; mais quand elle était trop sévère, il la tempérait; et quand on manquait de lois, son équité en faisait qu'on aurait prises pour celles de Zoroastre. C'est de lui que les nations tiennent ce grand principe qu'il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. Il croyait que les lois étaient faites pour secourir les citoyens autant que pour les intimider. Son principal talent était de démêler la vérité, que tous les hommes cherchent à obscurcir. Dès les premiers jours de son administration il mit ce grand talent en usage. Un fameux négociant de Babylone était mort aux Indes; il avait fait ses héritiers ses deux fils par portions égales, après avoir marié leur soeur, et il laissait un présent de trente mille pièces d'or à celui de ses deux fils qui serait jugé l'aimer davantage. L'aÃné lui bâtit un tombeau, le second augmenta d'une partie de son héritage la dot de sa soeur; chacun disait "C'est l'aÃné qui aime le mieux son père, le cadet aime mieux sa soeur; c'est à l'aÃné qu'appartiennent les trente mille pièces." Zadig les fit venir tous deux l'un après l'autre. Il dit à l'aÃné "Votre père n'est point mort, il est guéri de sa dernière maladie, il revient à Babylone. - Dieu soit loué, répondit le jeune homme; mais voilà un tombeau qui m'a coûté bien cher!" Zadig dit ensuite la même chose au cadet. "Dieu soit loué, répondit-il; je vais rendre à mon père tout ce que j'ai; mais je voudrais qu'il laissât à ma soeur ce que je lui ai donné. - Vous ne rendrez rien, dit Zadig, et vous aurez les trente mille pièces c'est vous qui aimez le mieux votre père." Une fille fort riche avait fait une promesse de mariage à deux mages, et, après avoir reçu quelques mois des instructions de l'un et de l'autre, elle se trouva grosse. Ils voulaient tous deux l'épouser. "Je prendrai pour mon mari, dit-elle, celui des deux qui m'a mise en état de donner un citoyen à l'empire. - C'est moi qui ai fait cette bonne oeuvre, dit l'un. - C'est moi qui ait eu cet avantage, dit l'autre. - Eh bien! répondit-elle, je reconnais pour père de l'enfant celui des deux qui lui pourra donner la meilleure éducation." Elle accoucha d'un fils. Chacun des mages veut l'élever. La cause est portée devant Zadig. Il fait venir les deux mages. "Qu'enseigneras-tu à ton pupille? dit-il au premier. - Je lui apprendrai, dit le docteur, les huit parties d'oraison, la dialectique, l'astrologie, la démonomanie; ce que c'est que la substance et l'accident, l'abstrait et le concret, les monades et l'harmonie préétablie. - Moi, dit le second, je tâcherai de le rendre juste et digne d'avoir des amis." Zadig prononça "Que tu sois son père ou non, tu épouseras sa mère." Les disputes et les audiences C'est ainsi qu'il montrait tous les jours la subtilité de son génie et la bonté de son âme; on l'admirait, et cependant on l'aimait. Il passait pour le plus fortuné de tous les hommes, tout l'empire était rempli de son nom; toutes les femmes le lorgnaient; tous les citoyens célébraient sa justice; les savants le regardaient comme leur oracle; les prêtres même avouaient qu'il en savait plus que le vieux archimage Yébor. On était bien loin alors de lui faire des procès sur les griffons; on ne croyait que ce qui lui semblait croyable. Il y avait une grande querelle dans Babylone, qui durait depuis quinze cents années, et qui partageait l'empire en deux sectes opiniâtres l'une prétendait qu'il ne fallait jamais entrer dans le temple de Mithra que du pied gauche; l'autre avait cette coutume en abomination, et n'entrait jamais que du pied droit. On attendait le jour de la fête solennelle du feu sacré pour savoir quelle secte serait favorisée par Zadig. L'univers avait les yeux sur ses deux pieds, et toute la ville était en agitation et en suspens. Zadig entra dans le temple en sautant à pieds joints, et il prouva ensuite, par un discours éloquent, que le Dieu du ciel et de la terre, qui n'a acception de personne, ne fait pas plus de cas de la jambe gauche que de la jambe droite. L'envieux et sa femme prétendirent que dans son discours il n'y avait pas assez de figures, qu'il n'avait pas fait assez danser les montagnes et les collines. "Il est sec et sans génie, disaient-ils; on ne voit chez lui ni la mer s'enfuir; ni les étoiles tomber, ni le soleil se fondre comme de la cire il n'a point le bon style oriental." Zadig se contentait d'avoir le style de la raison. Tout le monde fut pour lui, non pas parce qu'il était dans le bon chemin, non pas parce qu'il était raisonnable, non pas parce qu'il était aimable, mais parce qu'il était premier vizir. Il termina aussi heureusement le grand procès entre les mages blancs et les mages noirs. Les blancs soutenaient que c'était une impiété de se tourner, en priant Dieu, vers l'orient d'hiver; les noirs assuraient que Dieu avait en horreur les prières des hommes qui se tournaient vers le couchant d'été. Zadig ordonna qu'on se tournât comme on voudrait. Il trouva ainsi le secret d'expédier, le matin, les affaires particulières et les générales; le reste du jour, il s'occupait des embellissements de Babylone il faisait représenter des tragédies où l'on pleurait, et des comédies où l'on riait, ce qui était passé de mode depuis longtemps, et ce qu'il fit renaÃtre parce qu'il avait du goût. Il ne prétendait pas en savoir plus que les artistes; il les récompensait par des bienfaits et des distinctions, et n'était point jaloux en secret de leurs talents. Le soir, il amusait beaucoup le roi, et surtout la reine. Le roi disait "Le grand ministre!" La reine disait "L'aimable ministre!" et tous deux ajoutaient "C'eût été grand dommage qu'il eût été pendu." Jamais homme en place ne fut obligé de donner tant d'audiences aux dames. La plupart venaient lui parler des affaires qu'elles n'avaient point, pour en avoir une avec lui. La femme de l'envieux s'y présenta des premières; elle lui jura par Mithra, par Zenda-Vesta, et par le feu sacré, qu'elle avait détesté la conduite de son mari; elle lui confia ensuite que ce mari était un jaloux, un brutal; elle lui fit entendre que les dieux le punissaient en lui refusant les précieux effets de ce feu sacré par lequel seul l'homme est semblable aux immortels; elle finit par laisser tomber sa jarretière; Zadig la ramassa avec sa politesse ordinaire; mais il ne la rattacha point au genou de la dame; et cette petite faute, si c'en est une, fut la cause des plus horribles infortunes. Zadig n'y pensa pas, et la femme de l'envieux y pensa beaucoup. D'autres dames se présentaient tous les jours. Les annales secrètes de Babylone prétendent qu'il succomba une fois, mais qu'il fut tout étonné de jouir sans volupté, et d'embrasser son amante avec distraction. Celle à qui il donna, sans presque s'en apercevoir, des marques de sa protection, était une femme de chambre de la reine Astarté. Cette tendre Babylonienne se disait à elle-même pour se consoler "Il faut que cet homme-là ait prodigieusement d'affaires dans la tête, puisqu'il y songe encore même en faisant l'amour." Il échappa à Zadig, dans les instants où plusieurs personnes ne disent mot, et où d'autres ne prononcent que des paroles sacrées, de s'écrier tout d'un coup "La reine!" La Babylonienne crut qu'enfin il était revenu à lui dans un bon moment, et qu'il lui disait "Ma reine." Mais Zadig, toujours très distrait, prononça le nom d'Astarté. La dame, qui dans ces heureuses circonstances interprétait tout à son avantage, s'imagina que cela voulait dire "Vous êtes plus belle que la reine Astarté." Elle sortit du sérail de Zadig avec de très beaux présents. Elle alla conter son aventure à l'envieuse, qui était son amie intime; celle-ci fut cruellement piquée de la préférence. "Il n'a pas daigné seulement, dit-elle, me rattacher cette jarretière que voici, et dont je ne veux plus me servir. - Oh! oh! dit la fortunée à l'envieuse, vous portez les mêmes jarretières que la reine! Vous les prenez donc chez la même faiseuse?" L'envieuse rêva profondément, ne répondit rien, et alla consulter son mari l'envieux. Cependant Zadig s'apercevait qu'il avait toujours des distractions quand il donnait des audiences et quand il jugeait; il ne savait à quoi les attribuer c'était là sa seule peine. Il eut un songe il lui semblait qu'il était couché d'abord sur des herbes sèches; parmi lesquelles il y en avait quelques-unes de piquantes qui l'incommodaient; et qu'ensuite il reposait mollement sur un lit de roses, dont il sortait un serpent qui le blessait au coeur de sa langue acérée et envenimée. "Hélas! disait-il, j'ai été longtemps couché sur ces herbes sèches et piquantes, je suis maintenant sur le lit de roses, mais quel sera le serpent?" La jalousie Le malheur de Zadig vint de son bonheur même, et surtout de son mérite. Il avait tous les jours des entretiens avec le roi et avec Astarté son auguste épouse. Les charmes de sa conversation redoublaient encore par cette envie de plaire qui est à l'esprit ce que la parure est à la beauté; sa jeunesse et ses grâces firent insensiblement sur Astarté une impression dont elle ne s'aperçut pas d'abord. Sa passion croissait dans le sein de l'innocence. Astarté se livrait sans scrupule et sans crainte au plaisir de voir et d'entendre un homme cher à son époux et à l'Etat; elle ne cessait de le vanter au roi; elle en parlait à ses femmes, qui enchérissaient encore sur ses louanges; tout servait à enfoncer dans son coeur le trait qu'elle ne sentait pas. Elle faisait des présents à Zadig, dans lesquels il entrait plus de galanterie qu'elle ne pensait; elle croyait ne lui parler qu'en reine contente de ses services, et quelquefois ses expressions étaient d'une femme sensible. Astarté était beaucoup plus belle que cette Sémire qui haïssait tant les borgnes, et que cette autre femme qui avait voulu couper le nez à son époux. La familiarité d'Astarté, ses discours tendres, dont elle commençait à rougir, ses regards, qu'elle voulait détourner, et qui se fixaient sur les siens, allumèrent dans le coeur de Zadig un feu dont il s'étonna. Il combattit; il appela à son secours la philosophie, qui l'avait toujours secouru; il n'en tira que des lumières, et n'en reçut aucun soulagement Le devoir, la reconnaissance, la majesté souveraine violée, se présentaient à ses yeux comme des dieux vengeurs; il combattait, il triomphait; mais cette victoire; qu'il fallait remporter à tout moment, lui coûtait des gémissements et des larmes. Il n'osait plus parler à la reine avec cette douce liberté qui avait eu tant de charmes pour tous deux ses yeux se couvraient d'un nuage; ses discours étaient contraints et sans suite il baissait la vue; et quand, malgré lui, ses regards se tournaient vers Astarté, ils rencontraient ceux de la reine mouillés de pleurs, dont il partait des traits de flamme; ils semblaient se dire l'un à l'autre "Nous nous adorons, et nous craignons de nous aimer; nous brûlons tous deux d'un feu que nous condamnons." Zadig sortait d'auprès d'elle égaré, éperdu, le coeur surchargé d'un fardeau qu'il ne pouvait plus porter dans la violence de ses agitations, il laissa pénétrer son secret à son ami Cador, comme un homme qui, ayant soutenu longtemps les atteintes d'une vive douleur, fait enfin connaÃtre son mal par un cri qu'un redoublement aigu lui arrache, et par la sueur froide qui coule sur son front. Cador lui dit "J'ai déjà démêlé les sentiments que vous vouliez vous cacher à vous-même; les passions ont des signes auxquels on ne peut se méprendre. Jugez, mon cher Zadig, puisque j'ai lu dans votre coeur, si le roi n'y découvrira pas un sentiment qui l'offense. Il n'a d'autre défaut que celui d'être le plus jaloux des hommes. Vous résistez à votre passion avec plus de force que la reine ne combat la sienne, parce que vous êtes philosophe, et parce que vous êtes Zadig. Astarté est femme; elle laisse parler ses regards avec d'autant plus d'imprudence qu'elle ne se croit pas encore coupable. Malheureusement, rassurée sur son innocence, elle néglige des dehors nécessaires. Je tremblerai pour elle tant qu'elle n'aura rien à se reprocher. Si vous étiez d'accord l'un et l'autre, vous sauriez tromper tous les yeux une passion naissante et combattue éclate; un amour satisfait sait se cacher." Zadig frémit à la proposition de trahir le roi, son bienfaiteur; et jamais il ne fut plus fidèle à son prince que quand il fut coupable envers lui d'un crime involontaire. Cependant la reine prononçait si souvent le nom de Zadig, son front se couvrait de tant de rougeur en le prononçant, elle était tantôt si animée, tantôt si interdite, quand elle lui parlait en présence du roi; une rêverie si profonde s'emparait d'elle quand il était sorti, que le roi fut troublé. Il crut tout ce qu'il voyait, et imagina tout ce qu'il ne voyait point. Il remarqua surtout que les babouches de sa femme étaient bleues, et que les babouches de Zadig étaient bleues, que les rubans de sa femme étaient jaunes, et que le bonnet de Zadig était jaune; c'étaient là de terribles indices pour un prince délicat. Les soupçons se tournèrent en certitude dans son esprit aigri. Tous les esclaves des rois et des reines sont autant d'espions de leurs coeurs. On pénétra bientôt qu'Astarté était tendre, et que Moabdar était jaloux. L'envieux engagea l'envieuse à envoyer au roi sa jarretière, qui ressemblait à celle de la reine. Pour surcroÃt de malheur, cette jarretière était bleue. Le monarque ne songea plus qu'à la manière de se venger. Il résolut une nuit d'empoisonner la reine, et de faire mourir Zadig par le cordeau au point du jour. L'ordre en fut donné à un impitoyable eunuque, exécuteur de ses vengeances. Il y avait alors dans la chambre du roi un petit nain qui était muet, mais qui n'était pas sourd. On le souffrait toujours il était témoin de ce qui se passait de plus secret, comme un animal domestique. Ce petit muet était très attaché à la reine et à Zadig. Il entendit, avec autant de surprise que d'horreur, donner l'ordre de leur mort. Mais comment faire pour prévenir cet ordre effroyable qui allait s'exécuter dans peu d'heures? Il ne savait pas écrire; mais il avait appris à peindre, et savait surtout faire ressembler. Il passa une partie de la nuit à crayonner ce qu'il voulait faire entendre à la reine. Son dessin représentait le roi agité de fureur, dans un coin du tableau, donnant des ordres à son eunuque; un cordeau bleu et un vase sur une table, avec des jarretières bleues et des rubans jaunes; la reine, dans le milieu du tableau, expirante entre les bras de ses femmes; et Zadig étranglé à ses pieds. L'horizon représentait un soleil levant pour marquer que cette horrible exécution devait se faire aux premiers rayons de l'aurore. Dès qu'il eut fini cet ouvrage, il courut chez une femme d'Astarté, la réveilla, et lui fit entendre qu'il fallait dans l'instant même porter ce tableau à la reine. Cependant, au milieu de la nuit, on vient frapper à la porte de Zadig; on le réveille; on lui donne un billet de la reine; il doute si c'est un songe; il ouvre la lettre d'une main tremblante. Quelle fut sa surprise, et qui pourrait exprimer la consternation et le désespoir dont il fut accablé quand il lut ces paroles "Fuyez, dans l'instant même, ou l'on va vous arracher la vie! Fuyez, Zadig; je vous l'ordonne au nom de notre amour et de mes rubans jaunes. Je n'étais point coupable; mais je sens que je vais mourir criminelle." Zadig eut à peine la force de parler. Il ordonna qu'on fÃt venir Cador; et, sans lui rien dire, il lui donna ce billet. Cador le força d'obéir, et de prendre sur-le-champ la route de Memphis. "Si vous osez aller trouver la reine, lui dit-il, vous hâtez sa mort; si vous parlez au roi, vous la perdez encore. Je me charge de sa destinée; suivez la vôtre. Je répandrai le bruit que vous avez pris la route des Indes. Je viendrai bientôt vous trouver, et je vous apprendrai ce qui se sera passé à Babylone. " Cador, dans le moment même, fit placer deux dromadaires des plus légers à la course vers une porte secrète du palais; il y fit monter Zadig, qu'il fallut porter, et qui était près de rendre l'âme. Un seul domestique l'accompagna; et bientôt Cador, plongé dans l'étonnement et dans la douleur, perdit son ami de vue. Cet illustre fugitif, arrivé sur le bord d'une colline d'où l'on voyait Babylone, tourna la vue sur le palais de la reine, et s'évanouit; il ne reprit ses sens que pour verser des larmes et pour souhaiter la mort. Enfin, après s'être occupé de la destinée déplorable de la plus aimable des femmes et de la première reine du monde, il fit un moment de retour sur lui-même, et s'écria "Qu'est-ce donc que la vie humaine? O vertu! à quoi m'avez-vous servi? Deux femmes m'ont indignement trompé; la troisième, qui n'est point coupable, et qui est plus belle que les autres, va mourir! Tout ce que j'ai fait de bien a toujours été pour moi une source de malédictions, et je n'ai été élevé au comble de la grandeur que pour tomber dans le plus horrible précipice de l'infortune. Si j'eusse été méchant comme tant d'autres, je serais heureux comme eux." Accablé de ces réflexions funestes, les yeux chargés du voile de la douleur, la pâleur de la mort sur le visage, et l'âme abÃmée dans l'excès d'un sombre désespoir, il continuait son voyage vers l'Egypte. La femme battue Zadig dirigeait sa route sur les étoiles. La constellation d'Orion et le brillant astre de Sirius le guidaient vers le pôle de Canope. Il admirait ces vastes globes de lumière qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraÃt à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue. Cette image vraie semblait anéantir ses malheurs, en lui retraçant le néant de son être et celui de Babylone. Son âme s'élançait jusque dans l'infini, et contemplait, détachée de ses sens, l'ordre immuable de l'univers. Mais lorsque ensuite, rendu à lui-même et rentrant dans son coeur, il pensait qu'Astarté était peut-être morte pour lui, l'univers disparaissait à ses yeux, et il ne voyait dans la nature entière qu'Astarté mourante et Zadig infortuné. Comme il se livrait à ce flux et à ce reflux de philosophie sublime et de douleur accablante, il avançait vers les frontières de l'Egypte; et déjà son domestique fidèle était dans la première bourgade, où il lui cherchait un logement. Zadig cependant se promenait vers les jardins qui bordaient ce village. Il vit, non loin du grand chemin, une femme éplorée qui appelait le ciel et la terre à son secours, et un homme furieux qui la suivait. Elle était déjà atteinte par lui, elle embrassait ses genoux. Cet homme l'accablait de coups et de reproches. Il jugea, à la violence de l'Egyptien et aux pardons réitérés que lui demandait la dame, que l'un était un jaloux, et l'autre une infidèle, mais quand il eut considéré cette femme, qui était d'une beauté touchante, et qui même ressemblait un peu à la malheureuse Astarté, il se sentit pénétré de compassion pour elle, et d'horreur pour l'Egyptien. "Secourez-moi, s'écria-t-elle à Zadig avec des sanglots; tirez-moi des mains du plus barbare des hommes, sauvez-moi la vie!" A ces cris, Zadig courut se jeter entre elle et ce barbare. Il avait quelque connaissance de la langue égyptienne. Il lui dit en cette langue "Si vous avez quelque humanité, je vous conjure de respecter la beauté et la faiblesse. Pouvez-vous outrager ainsi un chef-d'oeuvre de la nature, qui est à vos pieds, et qui n'a pour sa défense que des larmes? - Ah! ah! lui dit cet emporté, tu l'aimes donc aussi! et c'est de toi qu'il faut que je me venge." En disant ces paroles, il laisse la dame, qu'il tenait d'une main par les cheveux, et, prenant sa lance, il veut en percer l'étranger. Celui-ci, qui était de sang-froid, évita aisément le coup d'un furieux. Il se saisit de la lance près du fer dont elle est armée. L'un veut la retirer, l'autre l'arracher. Elle se brise entre leurs mains. L'Egyptien tire son épée; Zadig s'arme de la sienne. Ils s'attaquent l'un l'autre. Celui-ci porte cent coups précipités; celui-là les pare avec adresse. La dame, assise sur un gazon, rajuste sa coiffure et les regarde. L'Egyptien était plus robuste que son adversaire, Zadig était plus adroit. Celui-ci se battait en homme dont la tête conduisait le bras, et celui-là comme un emporté dont une colère aveugle guidait les mouvements au hasard. Zadig passe à lui, et le désarme; et tandis que l'Egyptien, devenu plus furieux, veut se jeter sur lui, il le saisit, le presse, le fait tomber en lui tenant l'épée sur la poitrine; il lui offre de lui donner la vie. L'Egyptien, hors de lui, tire son poignard; il en blesse Zadig dans le temps même que le vainqueur lui pardonnait. Zadig, indigné, lui plonge son épée dans le sein. L'Egyptien jette un cri horrible, et meurt en se débattant. Zadig alors s'avança vers la dame, et lui dit d'une voix soumise "Il m'a forcé de le tuer je vous ai vengée; vous êtes délivrée de l'homme le plus violent que j'aie jamais vu. Que voulez-vous maintenant de moi, madame? - Que tu meures, scélérat, lui répondit-elle; que tu meures! tu as tué mon amant; je voudrais pouvoir déchirer ton coeur. - En vérité, madame, vous aviez là un étrange homme pour amant, lui répondit Zadig; il vous battait de toutes ses forces et il voulait m'arracher la vie parce que vous m'avez conjuré de vous secourir. - Je voudrais qu'il me battÃt encore, reprit la dame en poussant des cris. Je le méritais bien, je lui avais donné de la jalousie. Plût au ciel qu'il me battÃt, et que tu fusses à sa place!" Zadig, plus surpris et plus en colère qu'il ne l'avait été de sa vie, lui dit "Madame, toute belle que vous êtes, vous mériteriez que je vous battisse à mon tour, tant vous êtes extravagante; mais je n'en prendrai pas la peine." Là -dessus il remonta sur son chameau, et avança vers le bourg. A peine avait-il fait quelques pas qu'il se retourne au bruit que faisaient quatre courriers de Babylone. Ils venaient à toute bride. L'un d'eux, en voyant cette femme, s'écria "C'est elle-même! Elle ressemble au portrait qu'on nous en a fait." Ils ne s'embarrassèrent pas du mort, et se saisirent incontinent de la dame. Elle ne cessait de crier à Zadig "Secourez-moi encore une fois, étranger généreux! je vous demande pardon de m'être plainte de vous secourez-moi, et je suis à vous jusqu'au tombeau!" L'envie avait passé à Zadig de se battre désormais pour elle. "A d'autres! répond-il; vous ne m'y attraperez plus." D'ailleurs il était blessé, son sang coulait, il avait besoin de secours; et la vue des quatre Babyloniens, probablement envoyés par le roi Moabdar, le remplissait d'inquiétude. Il s'avance en hâte vers le village, n'imaginant pas pourquoi quatre courriers de Babylone venaient prendre cette Egyptienne, mais encore plus étonné du caractère de cette dame. L'esclavage Comme il entrait dans la bourgade égyptienne, il se vit entouré par le peuple. Chacun criait "Voilà celui qui a enlevé la belle Missouf, et qui vient d'assassiner Clétofis! - Messieurs, dit-il, Dieu me préserve d'enlever jamais votre belle Missouf! elle est trop capricieuse; et, à l'égard de Clétofis, je ne l'ai point assassiné; je me suis défendu seulement contre lui. Il voulait me tuer, parce que je lui avais demandé très humblement grâce pour la belle Missouf, qu'il battait impitoyablement. Je suis un étranger qui vient chercher un asile dans l'Egypte; et il n'y a pas d'apparence qu'en venant demander votre protection j'aie commencé par enlever une femme, et par assassiner un homme." Les Egyptiens étaient alors justes et humains. Le peuple conduisit Zadig à la maison de ville. On commença par le faire panser de sa blessure, et ensuite on l'interrogea, lui et son domestique séparément, pour savoir la vérité. On reconnut que Zadig n'était point un assassin; mais il était coupable du sang d'un homme la loi le condamnait à être esclave. On vendit au profit de la bourgade ses deux chameaux; on distribua aux habitants tout l'or qu'il avait apporté; sa personne fut exposée en vente dans la place publique, ainsi que celle de son compagnon de voyage. Un marchand arabe, nommé Sétoc, y mit l'enchère; mais le valet, plus propre à la fatigue, fut vendu bien plus chèrement que le maÃtre. On ne faisait pas de comparaison entre ces deux hommes. Zadig fut donc esclave subordonné à son valet on les attacha ensemble avec une chaÃne qu'on leur passa aux pieds, et en cet état ils suivirent le marchand arabe dans sa maison. Zadig, en chemin, consolait son domestique, et l'exhorait à la patience; mais, selon sa coutume, il faisait des réflexions sur la vie humaine. "Je vois, lui disait-il, que les malheurs de ma destinée se répandent sur la tienne. Tout m'a tourné jusqu'ici d'une façon bien étrange. J'ai été condamné à l'amende pour avoir vu passer une chienne; j'ai pensé être empalé pour un griffon; j'ai été envoyé au supplice parce que j'avais fait des vers à la louange du roi; j'ai été sur le point d'être étranglé parce que la reine avait des rubans jaunes, et me voici esclave avec toi parce qu'un brutal a battu sa maÃtresse. Allons, ne perdons point courage; tout ceci finira peut-être; il faut bien que les marchands arabes aient des esclaves; et pourquoi ne le serais-je pas comme un autre, puisque je suis homme comme un autre? Ce marchand ne sera pas impitoyable; il faut qu'il traite bien ses esclaves, s'il en veut tirer des services." Il parlait ainsi, et dans le fond de son coeur il était occupé du sort de la reine de Babylone. Sétoc, le marchand, partit deux jours après pour l'Arabie déserte avec ses esclaves et ses chameaux. Sa tribu habitait vers le désert d'Horeb. Le chemin fut long et pénible. Sétoc, dans la route, faisait bien plus de cas du valet que du maÃtre, parce que le premier chargeait bien mieux les chameaux; et toutes les petits distinctions furent pour lui. Un chameau mourut à deux journées d'Horeb on répartit sa charge sur le dos de chacun des serviteurs; Zadig en eut sa part. Sétoc se mit à rire en voyant tous ses esclaves marcher courbés. Zadig prit la liberté de lui en expliquer la raison, et lui apprit les lois de l'équilibre. Le marchand, étonné, commença à le regarder d'un autre oeil. Zadig, voyant qu'il avait excité sa curiosité, la redoubla en lui apprenant beaucoup de choses qui n'étaient point étrangères à son commerce; les pesanteurs spécifiques des métaux et des denrées sous un volume égal; les propriétés de plusieurs animaux utiles; le moyen de rendre tels ceux qui ne l'étaient pas; enfin il lui parut un sage. Sétoc lui donna la préférence sur son camarade, qu'il avait tant estimé. Il le traita bien, et n'eut pas sujet de s'en repentir. Arrivé dans sa tribu, Sétoc commença par redemander cinq cents onces d'argent à un Hébreu auquel il les avait prêtées en présence de deux témoins; mais ces deux témoins étaient mors, et l'Hébreu, ne pouvant être convaincu, s'appropriait l'argent du marchand, en remerciant Dieu de ce qu'il lui avait donné le moyen de tromper un Arabe. Sétoc confia sa peine à Zadig, qui était devenu son conseil. "En quel endroit, demanda Zadig, prêtâtes-vous vos cinq cent onces à cet infidèle? - Sur une large pierre, répondit le marchand, qui est auprès du mont Horeb. - Quel est le caractère de votre débiteur? dit Zadig - Celui d'un fripon, reprit Sétoc. - Mais je vous demande si c'est un homme vif ou flegmatique, avisé ou imprudent. - C'est de tous les mauvais payeurs, dit Sétoc, le plus vif que je connaisse. - Eh bien! insista Zadig, permettez que je plaide votre cause devant le juge." En effet il cita l'Hébreu au tribunal, et il parla ainsi au juge "Oreiller du trône d'équité, je viens redemander à cet home, au nom de mon maÃtre, cinq cents onces d'argent qu'il ne veut pas rendre. - Avez-vous des témoins? dit le juge. - Non, ils sont morts; mais il reste une large pierre sur laquelle l'argent fut compté; et s'il plaÃt à Votre Grandeur d'ordonner qu'on aille chercher la pierre, j'espère qu'elle portera témoignage; nous resterons ici, l'Hébreu et moi, en attendant que la pierre vienne; je l'enverrai chercher aux dépens de Sétoc, mon maÃtre. Très volontiers, répondit le juge"; et il se mit à expédier d'autres affaires. A la fin de l'audience "Eh bien! dit-il à Zadig, votre pierre n'est pas encore venue?" L'Hébreu, en riant, répondit "Votre Grandeur resterait ici jusqu'à demain que la pierre ne serait pas encore arrivée; elle est à plus de six milles d'ici, et il faudrait quinze hommes pour la remuer. - Eh bien! s'écria Zadig, je vous avait bien dit que la pierre porterait témoignage; puisque cet homme sait où elle est, il avoue donc que c'est sur elle que l'argent fut compté." L'Hébreu, déconcerté, fut bientôt contraint de tout avouer. Le juge ordonna qu'il serait lié à la pierre, sans boire ni manger, jusqu'à ce qu'il eût rendu les cinq cents onces, qui furent bientôt payées. L'esclave Zadig et la pierre furent en grande recommandation dans l'Arabie. Le bûcher Sétoc, enchanté, fit de son esclave son ami intime. Il ne pouvait pas plus se passer de lui qu'avait fait le roi de Babylone; et Zadig fut heureux que Sétoc n'eût point de femme. Il découvrait dans son maÃtre un naturel porté au bien, beaucoup de droiture et de bon sens. Il fut fâché de voir qu'il adorait l'armée céleste, c'est-à -dire le soleil, la lune, et les étoiles, selon l'ancien usage d'Arabie. Il lui en parlait quelquefois avec beaucoup de discrétion. Enfin il lui dit que c'étaient des corps comme les autres, qui ne méritaient pas plus son hommage qu'un arbre ou un rocher. "Mais, disait Sétoc, ce sont des êtres éternels dont nous tirons tous nos avantages; ils animent la nature; ils règlent les saisons; ils sont d'ailleurs si loin de nous qu'on ne peut pas s'empêcher de les révérer. - Vous recevez plus d'avantages, répondit Zadig, des eaux de la mer Rouge, qui porte vos marchandises aux Indes. Pourquoi ne serait-elle pas aussi ancienne que les étoiles? Et si vous adorez ce qui est éloigné de vous, vous devez adorer la terre des Gangarides, qui est aux extrémités du monde. - Non, disait. Sétoc, les étoiles sont trop brillantes pour que je ne les adore pas." Le soir venu, Zadig alluma un grand nombre de flambeaux dans la tente où il devait souper avec Sétoc; et dès que son patron parut, il se jeta à genoux devant ces cires allumées, et leur dit "Eternelles et brillantes clartés, soyez-moi toujours propices!" Ayant proféré ces paroles, il se mit à table sans regarder Sétoc. "Que faites-vous donc? lui dit Sétoc étonné. - Je fais comme vous, répondit Zadig; j'adore ces chandelles, et je néglige leur maÃtre et le mien." Sétoc comprit le sens profond de cet apologue. La sagesse de son esclave entra dans son âme; il ne prodigua plus son encens aux créatures, et adora l'Etre éternel qui les a faites. Il y avait alors dans l'Arabie une coutume affreuse, venue originairement de Scythie, et qui, s'étant établie dans les Indes par le crédit des bracmanes, menaçait d'envahir tout l'Orient. Lorsqu'un homme marié était mort, et que sa femme bien-aimé voulait être sainte, elle se brûlait en public sur le corps de son mari. C'était une fête solennelle qui s'appelait le bûcher du veuvage. La tribu dans laquelle il y avait eu le plus de femmes brûlées était la plus considérée. Un Arabe de la tribu de Sétoc étant mort, sa veuve, nommée Almona, qui était fort dévote, fit savoir le jour et l'heure où elle se jetterait dans le feu au son des tambours et des trompettes. Zadig remontra à Sétoc combien cette horrible coutume était contraire au bien du genre humain; qu'on laissait brûler tous les jours de jeunes veuves qui pouvaient donner des enfants à l'Etat, ou du moins élever les leurs; et il le fit convenir qu'il fallait, si on pouvait, abolir un usage si barbare. Sétoc répondit "Il y a plus de mille ans que les femmes sont en possession de se brûler. Qui de nous osera changer une loi que le temps a consacrée? Y a-t-il rien de plus respectable qu'un ancien abus? - La raison est plus ancienne, reprit Zadig. Parlez aux chefs des tribus, et je vais trouver la jeune veuve." Il se fit présenter à elle; et après s'être insinué dans son esprit par des louanges sur sa beauté, après lui avoir dit combien c'était dommage de mettre au feu tant de charmes, il la loua encore sur sa constance et sur son courage. "Vous aimiez donc prodigieusement votre mari? lui dit-il. - Moi? point du tout, répondit la dame arabe. C'était un brutal, un jaloux, un homme insupportable; mais je suis fermement résolue de me jeter sur son bûcher. - Il faut, dit Zadig, qu'il y ait apparemment un plaisir bien délicieux à être brûlée vive. - Ah! cela fait frémir la nature, dit la dame; mais il faut en passer par là . Je suis dévote; je serais perdue de réputation, et tout le monde se moquerait de moi si je ne me brûlais pas." Zadig, l'ayant fait convenir qu'elle se brûlait pour les autres et par vanité, lui parla longtemps d'une manière à lui faire aimer un peu la vie, et parvint même à lui inspirer quelque bienveillance pour celui qui lui parlait. "Que feriez-vous enfin, lui dit-il, si la vanité de vous brûler ne vous tenait pas? - Hélas! dit la dame, je crois que je vous prierais de m'épouser." Zadig était trop rempli de l'idée d'Astarté pour ne pas éluder cette déclaration; mais il alla dans l'instant trouver les chefs des tribus, leur dit ce qui s'était passé, et leur conseilla de faire une loi par laquelle il ne serait permis à une veuve de se brûler qu'après avoir entretenu un jeune homme tête à tête pendant une heure entière. Depuis ce temps, aucune dame ne se brûla en Arabie. On eut au seul Zadig l'obligation d'avoir détruit en un jour une coutume si cruelle, qui durait depuis tant de siècles. Il était donc le bienfaiteur de l'Arabie. Le souper Sétoc, qui ne pouvait se séparer de cet homme en qui habitait la sagesse, le mena à la grande foire de Balzora, où devaient se rendre les plus grands négociants de la terre habitable. Ce fut pour Zadig une consolation sensible de voir tant d'hommes de diverses contrées réunis dans la même place. Il lui paraissait que l'univers était une grande famille qui se rassemblait à Balzora. Il se trouva à table, dès le second jour, avec un Egyptien, un Indien gangaride, un habitant du Cathay, un Grec, un Celte, et plusieurs autres étrangers qui, dans leurs fréquents voyages vers le golfe Arabique, avaient appris assez d'arabe pour se faire entendre. L'Egyptien paraissait fort en colère. "Quel abominable pays que Balzora! disait-il; on m'y refuse mille onces d'or sur le meilleur effet du monde. - Comment donc, dit Sétoc; sur quel effet vous a-t-on refusé cette somme? - Sur le corps de ma tante, répondit l'Egyptien; c'était la plus brave femme d'Egypte. Elle m'accompagnait toujours; elle est morte en chemin j'en ai fait une des plus belles momies que nous ayons; et je trouverais dans mon pays tout ce que je voudrais en la mettant en gage. Il est bien étrange qu'on ne veuille pas seulement me donner ici mille onces d'or sur un effet si solide." Tout en se courrouçant, il était prêt de manger d'une excellente poule bouillie, quand l'Indien, le prenant par la main, s'écria avec douleur "Ah! qu'allez-vous faire? - Manger de cette poule, dit l'homme à la momie. - Gardez-vous-en bien, dit le Gangaride; il se pourrait faire que l'âme de la défunte fût passée dans le corps de cette poule, et vous ne voudriez pas vous exposer à manger votre tante. Faire cuire des poules, c'est outrager manifestement la nature. - Que voulez-vous dire avec votre nature et vos poules? reprit le colérique Egyptien; nous adorons un boeuf, et nous en mangeons bien - Vous adorez un boeuf! est-il possible? dit l'homme du Il n'y a rien de si possible, repartit l'autre; il y a cent trente-cinq mille ans que nous en usons ainsi, et personne parmi nous n'y trouve à redire. - Ah! cent trente-cinq mille ans! dit l'Indien, ce compte est un peu exagéré; il n'y en a que quatre-vingt mille que l'Inde est peuplée, et assurément nous sommes vos anciens, et Brama nous avait défendu de manger des boeufs avant que vous vous fussiez avisés de les mettre sur les autels et à la broche. - Voilà un plaisant animal que votre Brama, pour le comparer à Apis! dit l'Egyptien; qu'a donc fait votre Brama de si beau?" Le bramin répondit "C'est lui qui a appris aux hommes à lire et à écrire, et à qui toute la terre doit le jeu des échecs. - Vous vous trompez, dit un Chaldéen qui était auprès de lui; c'est le poisson Oannès à qui on doit de si grands bienfaits, et il est juste de ne rendre qu'à lui ses hommages. Tout le monde vous dira que c'était un être divin, qu'il avait la queue dorée, avec une belle tête d'homme, et qu'il sortait de l'eau pour venir prêcher à terre trois heures par jour. Il eut plusieurs enfants qui furent rois, comme chacun sait. J'ai son portrait chez moi, que je révère comme je le dois. On peut manger du boeuf tant qu'on veut; mais c'est assurément une très grande impiété de faire cuire du poisson; d'ailleurs vous êtes tous deux d'une origine trop peu noble et trop récente pour me rien disputer. La nation égyptienne ne compte que cent trente-cinq mille ans, et les Indiens ne se vantent que de quatre-vingt mille, tandis que nous avons des almanachs de quatre mille siècles. Croyez-moi, renoncez à vos folies, et je vous donnerai à chacun un beau portrait d'Oannès." L'homme de Cambalu, prenant la parole, dit "Je respecte fort les Egyptiens, les Chaldéens, les Grecs, les Celtes, Brama, le boeuf Apis, le beau poisson Oannès; mais peut-être que le Li ou le Tien, comme on voudra l'appeler, vaut bien les boeufs et les poissons. Je ne dirai rien de mon pays; il est aussi grand que la terre d'Egypte, la Chaldée et les Indes ensemble. Je ne dispute pas d'antiquité, parce qu'il suffit d'être heureux, et que c'est fort peu de chose d'être ancien; mais, s'il fallait parler d'almanachs, je dirais que toute l'Asie prend les nôtres, et que nous en avions de fort bons avant qu'on sût l'arithmétique en Chaldée. - Vous êtes de grands ignorants tous tant que vous êtes! s'écria le Grec; est-ce que vous ne savez pas que le chaos est le père de tout, et que la forme et la matière ont mis le monde dans l'état où il est?" Ce Grec parla longtemps; mais il fut enfin interrompu par le Celte, qui, ayant beaucoup bu pendant qu'on disputait, se crut alors plus savant que tous les autres, et dit en jurant qu'il n'y avait que Teutath et le gui de chêne qui valussent la peine qu'on en parlât; que, pour lui, il avait toujours du gui dans sa poche; que les Scythes, ses ancêtres, étaient les seules gens de bien qui eussent jamais été au monde; qu'ils avaient, à la vérité, quelquefois mangé des hommes, mais que cela n'empêchait pas qu'on ne dût avoir beaucoup de respect pour sa nation; et qu'enfin, si quelqu'un parlait mal de Teutath, il lui apprendrait à vivre. La querelle s'échauffa pour lors, et Sétoc vit le moment où la table allait être ensanglantée. Zadig, qui avait gardé le silence pendant toute la dispute, se leva enfin il s'adressa d'abord au Celte, comme au plus furieux; il lui dit qu'il avait raison, et lui demanda du gui; il loua le Grec sur son éloquence, et adoucit tous les esprits échauffés. Il ne dit que très peu de chose à l'homme du Cathay, parce qu'il avait été le plus raisonnable de tous. Ensuite il leur dit "Mes amis, vous alliez vous quereller pour rien, car vous êtes tous du même avis." A ce mot, ils se récrièrent tous. "N'est-il pas vrai, dit-il au Celte, que vous n'adorez pas ce gui, mais celui qui a fait le gui et le chêne? - Assurément, répondit le Celte. - Et vous, monsieur l'Egyptien, vous révérez apparemment dans un certain boeuf celui qui vous a donné les boeufs? - Oui, dit l'Egyptien. - Le poisson Oannès, continua-t-il, doit céder à celui qui a fait la mer et les poissons. - D'accord, dit le Chaldéen. - L'Indien, ajouta-t-il, et le Cathayen, reconnaissent comme vous un premier principe; je n'ai pas trop bien compris les choses admirables que le Grec a dites, mais je suis sûr qu'il admet aussi un Etre supérieur, de qui la forme et la matière dépendent." Le Grec, qu'on admirait, dit que Zadig avait très bien pris sa pensée. "Vous êtes donc tous de même avis, répliqua Zadig, et il n'y a pas là de quoi se quereller." Tout le monde l'embrassa. Sétoc, après avoir vendu fort cher ses denrées, reconduisit son ami Zadig dans sa tribu. Zadig apprit en arrivant qu'on lui avait fait son procès en son absence, et qu'il allait être brûlé à petit feu. Les rendez-vous Pendant son voyage à Balzora, les prêtres des étoiles avaient résolu de le punir. Les pierreries et les ornements des jeunes veuves qu'ils envoyaient au bûcher leur appartenaient de droit; c'était bien le moins qu'ils fissent brûler Zadig pour le mauvais tour qu'il leur avait joué. Ils accusèrent donc Zadig d'avoir des sentiments erronés sur l'armée céleste; ils déposèrent contre lui, et jurèrent qu'ils lui avaient entendu dire que les étoiles ne se couchaient pas dans la mer. Ce blasphème effroyable fit frémir les juges; ils furent prêts de déchirer leurs vêtements, quand ils ouïrent ces paroles impies, et ils l'auraient fait, sans doute, si Zadig avait eu de quoi les payer. Mais, dans l'excès de leur douleur, ils se contentèrent de le condamner à être brûlé à petit feu. Sétoc, désespéré, employa en vain son crédit pour sauver son ami; il fut bientôt obligé de se taire. La jeune veuve Almona, qui avait pris beaucoup de goût à la vie, et qui en avait obligation à Zadig, résolut de le tirer du bûcher, dont il lui avait fait connaÃtre l'abus. Elle roula son dessein dans sa tête, sans en parler à personne. Zadig devait être exécuté le lendemain; elle n'avait que la nuit pour le sauver voici comme elle s'y prit en femme charitable et prudente. Elle se parfuma; elle releva sa beauté par l'ajustement le plus riche et le plus galant, et alla demander une audience secrète au chef des prêtres des étoiles. Quand elle fut devant ce vieillard vénérable, elle lui parla en ces termes "Fils aÃné de la grande Ourse, frère du Taureau, cousin du grand Chien c'étaient les titres de ce pontife, je viens vous confier mes scrupules. J'ai bien peur d'avoir commis un péché énorme en ne me brûlant pas dans le bûcher de mon cher mari. En effet qu'avais-je à conserver? une chair périssable, et qui est déjà toute flétrie." En disant ces paroles, elle tira de ses longues manches de soie ses bras nus, d'une forme admirable et d'une blancheur éblouissante. "Vous voyez, dit-elle, le peu que cela vaut." Le pontife trouva dans son coeur que cela valait beaucoup. Ses yeux le dirent, et sa bouche le confirma il jura qu'il n'avait vu de sa vie de si beaux bras. "Hélas! lui dit la veuve, les bras peuvent être un peu moins mal que le reste; mais vous m'avouerez que la gorge n'était pas digne de mes attentions." Alors elle laissa voir le sein le plus charmant que la nature eût jamais formé. Un bouton de rose sur une pomme d'ivoire n'eût paru auprès que de la garance sur du buis, et les agneaux sortant du lavoir auraient semblé d'un jaune brun. Cette gorge, ses grands yeux noirs qui languissaient en brillant doucement d'un feu tendre, ses joues animées de la plus belle pourpre mêlée au blanc de lait le plus pur; son nez, qui n'était pas comme la tour du mont Liban; ses lèvres, qui étaient comme deux bordures de corail renfermant les plus belles perles de la mer d'Arabie, tout cela ensemble fit croire au vieillard qu'il avait vingt ans. Il fit en bégayant une déclaration tendre. Almona, le voyant enflammé, lui demanda la grâce de Zadig. "Hélas! dit-il, ma belle dame, quand je vous accorderais sa grâce, mon indulgence ne servirait de rien; il faut qu'elle soit signée de trois autres de mes confrères. - Signez toujours, dit Almona. - Volontiers, dit le prêtre, à condition que vos faveurs seront le prix de ma facilité. - Vous me faites trop d'honneur, dit Almona; ayez seulement pour agréable de venir dans ma chambre après que le soleil sera couché, et dès que la brillante étoile Sheat sera sur l'horizon, vous me trouverez sur un sofa couleur de rose, et vous en userez comme vous pourrez avec votre servante." Elle sortit alors, emportant avec elle la signature, et laissa le vieillard plein d'amour et de défiance de ses forces. Il employa le reste du jour à se baigner; il but une liqueur composée de la cannelle de Ceylan, et des précieuses épices de Tidot et de Ternate, et attendit avec impatience que l'étoile Sheat vÃnt à paraÃtre. Cependant la belle Almona alla trouver le second pontife. Celui-ci l'assura que le soleil, la lune, et tous les feux du firmament n'étaient que des feux follets en comparaison de ses charmes. Elle lui demanda la même grâce, et on lui proposa d'en donner le prix. Elle se laissa vaincre, et donna rendez-vous au second pontife au lever de l'étoile Algénib. De là elle passa chez le troisième et chez le quatrième prêtre, prenant toujours une signature, et donnant un rendez-vous d'étoile en étoile. Alors elle fit avertir les juges de venir chez elle pour une affaire importante. Ils s'y rendirent elle leur montra les quatre noms, et leur dit à quel prix les prêtres avaient vendu la grâce de Zadig. Chacun d'eux arriva à l'heure prescrite; chacun fut bien étonné d'y trouver ses confrères, et plus encore d'y trouver les juges, devant qui leur honte fut manifestée. Zadig fut sauvé. Sétoc fut si charmé de l'habileté d'Almona qu'il en fit sa femme. Zadig partit après s'être jeté aux pieds de sa belle libératrice. Sétoc et lui se quittèrent en pleurant, en se jurant une amitié éternelle, et en se promettant que le premier des deux qui ferait une grande fortune en ferait part à l'autre. Zadig marcha du côté de la Syrie, toujours pensant à la malheureuse Astarté, et toujours réfléchissant sur le sort qui s'obstinait à se jouer de lui et à le persécuter. "Quoi! disait-il, quatre cents onces d'or pour avoir vu passer une chienne! condamné à être décapité pour quatre mauvais vers à la louange du roi! prêt à être étranglé parce que la reine avait des babouches de la couleur de mon bonnet! réduit en esclavage pour avoir secouru une femme qu'on battait; et sur le point d'être brûlé pour avoir sauvé la vie à toutes les jeunes veuves arabes!" Le brigand En arrivant aux frontières qui séparent l'Arabie Pétrée de la Syrie, comme il passait près d'un château assez fort, des Arabes armés en sortirent. Il se vit entouré; on lui criait "Tout ce que vous avez nous appartient, et votre personne appartient à notre maÃtre." Zadig, pour réponse, tira son épée; son valet, qui avait du courage, en fit autant. Ils renversèrent morts les premiers Arabes qui mirent la main sur eux; le nombre redoubla ils ne s'étonnèrent point, et résolurent de périr en combattant. On voyait deux hommes se défendre contre une multitude; un tel combat ne pouvait durer longtemps. Le maÃtre du château, nommé Arbogad, ayant vu d'une fenêtre les prodiges de valeur que faisait Zadig, conçut de l'estime pour lui. Il descendit en hâte, et vint lui-même écarter ses gens, et délivrer les deux voyageurs. "Tout ce qui passe sur mes terres est à moi, dit-il, aussi bien que ce que je trouve sur les terres des autres; mais vous me paraissez un si brave homme que je vous exempte de la loi commune." Il le fit entrer dans son château, ordonnant à ses gens de le bien traiter; et, le soir, Arbogad voulut souper avec Zadig. Le seigneur du château était un de ces Arabes qu'on appelle voleurs; mais il faisait quelquefois de bonnes actions parmi une foule de mauvaises; il volait avec une rapacité furieuse, et donnait libéralement intrépide dans l'action, assez doux dans le commerce, débauché à table; gai dans la débauche, et surtout plein de franchise. Zadig lui plut beaucoup; sa conversation, qui s'anima, fit durer le repas; enfin Arbogad lui dit "Je vous conseille de vous enrôler sous moi, vous ne sauriez mieux faire; ce métier-ci n'est pas mauvais; vous pourrez un jour devenir ce que je suis. - Puis-je vous demander, dit Zadig, depuis quel temps vous exercez cette noble profession? - Dès ma plus tendre jeunesse, reprit le seigneur. J'étais valet d'un Arabe assez habile; ma situation m'était insupportable. J'étais au désespoir de voir que, dans toute la terre qui appartient également aux hommes, la destinée ne m'eût pas réservé ma portion. Je confiai mes peines à un vieil Arabe, qui me dit "Mon fils, ne désespérez pas; il y avait autrefois un grain de sable qui se lamentait d'être un atome ignoré dans les déserts; au bout de quelques années il devint diamant, et il est à présent le plus bel ornement de la couronne du roi des Indes." Ce discours me fit impression; j'étais le grain de sable, je résolus de devenir diamant. Je commençai par voler deux chevaux; je m'associai des camarades; je me mis en état de voler de petites caravanes ainsi je fis cesser peu à peu la disproportion qui était d'abord entre les hommes et moi. J'eus ma part aux biens de ce monde, et je fus même dédommagé avec usure on me considéra beaucoup je devins seigneur brigand; j'acquis ce château par voie de fait. Le satrape de Syrie voulut m'en déposséder; mais j'était déjà trop riche pour avoir rien à craindre; je donnai de l'argent au satrape, moyennant quoi je conservai ce château, et j'agrandis mes domaines; il me nomma même trésorier des tributs que l'Arabie Pétrée payait au roi des rois Je fis ma charge de receveur, et point du tout celle de payeur. "Le grand desterham de Babylone envoya ici, au nom du roi Moabdar, un petit satrape pour me faire étrangler. Cet homme arriva avec son ordre j'étais instruit de tout; je fis étrangler en sa présence les quatre personnes qu'il avait amenées avec lui pour serrer le lacet; après quoi je lui demandai ce que pouvait lui valoir la commission de m'étrangler. Il me répondit que ses honoraires pouvaient aller à trois cents pièces d'or. Je lui fis voir clair qu'il y aurait plus à gagner avec moi. Je le fis sous-brigand; il est aujourd'hui un de mes meilleurs officiers, et des plus riches. Si vous m'en croyez, vous réussirez comme lui. Jamais la saison de voler n'a été meilleure, depuis que Moabdar est tué, et que tout est en confusion dans Babylone. - Moabdar est tué! dit Zadig; et qu'est devenue la reine Astarté? - Je n'en sais rien, reprit Arbogad; tout ce que je sais, c'est que Moabdar est devenu fou, qu'il a été tué, que Babylone est un grand coupe-gorge, que tout l'empire est désolé, qu'il y a de beaux coups à faire encore, et que pour ma part, j'en ai fait d'admirables. - Mais la reine, dit Zadig; de grâce, ne savez-vous rien de la destinée de la reine - On m'a parlé d'un prince d'Hyrcanie, reprit-il; elle est probablement parmi ses concubines, si elle n'a pas été tuée dans le tumulte; mais je suis plus curieux de butin que de nouvelles. J'ai pris plusieurs femmes dans mes courses, je n'en garde aucune; je les vends cher quand elles sont belles, sans m'informer de ce qu'elles sont. On n'achète point le rang; une reine qui serait laide ne trouverait pas marchand peut-être ai-je vendu la reine Astarté, peut-être est-elle morte; mais peu m'importe, et je pense que vous ne devez pas vous en soucier plus que moi." En parlant ainsi il buvait avec tant de courage, il confondait tellement toutes les idées, que Zadig n'en put tirer aucun éclaircissement. Il restait interdit, accablé, immobile. Arbogad buvait toujours, faisait des contes, répétait sans cesse qu'il était le plus heureux de tous les hommes, exhortant Zadig à se rendre aussi heureux que lui. Enfin, doucement assoupi par les fumées du vin, il alla dormir d'un sommeil tranquille. Zadig passa la nuit dans l'agitation la plus violente. "Quoi, disait-il, le roi est devenu fou! il est tué! Je ne puis m'empêcher de le plaindre. L'empire est déchiré, et ce brigand est heureux ô fortune! ô destinée! un voleur est heureux, et ce que la nature a fait de plus aimable a péri peut-être d'une manière affreuse, ou vit dans un état pire que la mort. O Astarté! qu'êtes-vous devenue?" Dès le point du jour il interrogea tous ceux qu'il rencontrait dans le château; mais tout le monde était occupé, personne ne lui répondit on avait fait pendant la nuit de nouvelles conquêtes, on partageait les dépouilles. Tout ce qu'il put obtenir dans cette confusion tumultueuse, ce fut la permission de partir. Il en profita sans tarder, plus abÃmé que jamais dans ses réflexions douloureuses. Zadig marchait inquiet, agité, l'esprit tout occupé de la malheureuse Astarté, du roi de Babylone, de son fidèle Cador, de l'heureux brigand Arbogad, de cette femme si capricieuse que des Babyloniens avaient enlevée sur les confins de l'Egypte, enfin de tous les contretemps et de toutes les infortunes qu'il avait éprouvés. Le pêcheur A quelques lieues du château d'Arbogad, il se trouva sur le bord d'une petite rivière, toujours déplorant sa destinée, et se regardant comme le modèle du malheur. Il vit un pêcheur couché sur la rive, tenant à peine d'une main languissante son filet, qu'il semblait abandonner, et levant les yeux vers le ciel. "Je suis certainement le plus malheureux de tous les hommes, disait le pêcheur. J'ai été, de l'aveu de tout le monde, le plus célèbre marchand de fromages à la crème dans Babylone, et j'ai été ruiné. J'avais la plus jolie femme qu'homme de ma sorte pût posséder, et j'en ai été trahi. Il me restait une chétive maison, je l'ai vue pillée et détruite. Réfugié dans une cabane, je n'ai de ressource que ma pêche, et je ne prends pas un poisson. O mon filet! je ne te jetterai plus dans l'eau, c'est à moi de m'y jeter." En disant ces mots il se lève, et s'avance dans l'attitude d'un homme qui allait se précipiter et finir sa vie. "Eh quoi! se dit Zadig à lui-même, il y a donc des hommes aussi malheureux que moi!" L'ardeur de sauver la vie au pêcheur fut aussi prompte que cette réflexion. Il court à lui, il l'arrête, il l'interroge d'un air attendri et consolant. On prétend qu'on en est moins malheureux quand on ne l'est pas seul; mais, selon Zoroastre, ce n'est pas par malignité, c'est par besoin. On se sent alors entraÃné vers un infortuné comme vers son semblable. La joie d'un homme heureux serait une insulte; mais deux malheureux sont comme deux arbrisseaux faibles qui, s'appuyant l'un sur l'autre, se fortifient contre l'orage. "Pourquoi succombez-vous à vos malheurs? dit Zadig au pêcheur. - C'est, répondit-il, parce que je n'y vois pas de ressource. J'ai été le plus considéré du village de Derlback auprès de Babylone, et je faisais, avec l'aide de ma femme, les meilleurs fromages à la crème de l'empire. La reine Astarté et le fameux ministre Zadig les aimaient passionnément. J'avais fourni à leurs maisons six cents fromages. J'allai un jour à la ville pour être payé; j'appris en arrivant dans Babylone que la reine et Zadig avaient disparu. Je courus chez le seigneur Zadig, que je n'avais jamais vu; je trouvai les archers du grand desterham, qui, munis d'un papier royal, pillaient sa maison loyalement et avec ordre. Je volai aux cuisines de la reine; quelques-uns des seigneurs de la bouche me dirent qu'elle était morte; d'autres dirent qu'elle était en prison; d'autres prétendirent qu'elle avait pris la fuite; mais tous m'assurèrent qu'on ne me payerait point mes fromages. J'allai avec ma femme chez le seigneur Orcan, qui était une de mes pratiques nous lui demandâmes sa protection dans notre disgrâce. Il l'accorda à ma femme, et me la refusa. Elle était plus blanche que ces fromages à la crème qui commencèrent mon malheur; et l'éclat de la pourpre de Tyr n'était pas plus brillant que l'incarnat qui animait cette blancheur. C'est ce qui fit qu'Orcan la retint, et me chassa de sa maison. J'écrivis à ma chère femme la lettre d'un désespéré. Elle dit au porteur "Ah, ah! oui! je sais quel est l'homme qui m'écrit, j'en ai entendu parler on dit qu'il fait des fromages à la crème excellents; qu'on m'en apporte, et qu'on les lui paye." "Dans mon malheur, je voulus m'adresser à la justice. Il me restait six onces d'or il fallut en donner deux onces à l'homme de loi que je consultai, deux au procureur qui entreprit mon affaire, deux au secrétaire du premier juge. Quand tout cela fut fait, mon procès n'était pas encore commencé, et j'avais déjà dépensé plus d'argent que mes fromages et ma femme ne valaient. Je retournai à mon village dans l'intention de vendre ma maison pour avoir ma femme. Ma maison valait bien soixante onces d'or; mais on me voyait pauvre et pressé de vendre. Le premier à qui je m'adressai m'en offrit trente onces; le second, vingt; et le troisième, dix. J'étais prêt enfin de conclure, tant j'étais aveuglé, lorsqu'un prince d'Hyrcanie vint à Babylone, et ravagea tout sur son passage. Ma maison fut d'abord saccagée, et ensuite brûlée. Ayant ainsi perdu mon argent, ma femme et ma maison, je me suis retiré dans ce pays où vous me voyez; j'ai tâché de subsister du métier de pêcheur. Les poissons se moquent de moi comme les hommes je ne prends rien, je meurs de faim; et sans vous, auguste consolateur, j'allais mourir dans la rivière." Le pêcheur ne fit point ce récit tout de suite; car à tout moment Zadig, ému et transporté, lui disait "Quoi! vous ne savez rien de la destinée de la reine? - Non, seigneur, répondait le pêcheur; mais je sais que la reine et Zadig ne m'ont point payé mes fromages à la crème, qu'on a pris ma femme, et que je suis au désespoir. - Je me flatte, dit Zadig, que vous ne perdrez pas tout votre argent. J'ai entendu parler de ce Zadig; il est honnête homme; et s'il retourne à Babylone, comme il l'espère, il vous donnera plus qu'il ne vous doit; mais pour votre femme, qui n'est pas si honnête, je vous conseille de ne pas chercher à la reprendre. Croyez-moi, allez à Babylone; j'y serai avant vous, parce que je suis à cheval et que vous êtes à pied. Adressez-vous à l'illustre Cador; dites-lui que vous avez rencontré son ami; attendez-moi chez lui. Allez; peut-être ne serez-vous pas toujours malheureux. "O puissant Orosmade! continua-t-il, vous vous servez de moi pour consoler cet homme; de qui vous servirez-vous pour me consoler?" En parlant ainsi il donnait au pêcheur la moitié de tout l'argent qu'il avait apporté d'Arabie, et le pêcheur, confondu et ravi, baisait les pieds de l'ami de Cador, et disait "Vous êtes un ange sauveur." Cependant Zadig demandait toujours des nouvelles, et versait des larmes. "Quoi! seigneur, s'écria le pêcheur; vous seriez donc aussi malheureux, vous qui faites du bien? - Plus malheureux que toi cent fois, répondait Zadig. - Mais comment se peut-il faire, disait le bonhomme, que celui qui donne soit plus à plaindre que celui qui reçoit? - C'est que ton plus grand malheur, reprit Zadig, était le besoin, et que je suis infortuné par le coeur. - Orcan vous aurait-il pris votre femme? dit le pêcheur." Ce mot rappela dans l'esprit de Zadig toutes ses aventures; il répétait la liste de ses infortunes, à commencer depuis la chienne de la reine jusqu'à son arrivée chez le brigand Arbogad. "Ah! dit-il au pêcheur, Orcan mérite d'être puni. Mais d'ordinaire ce sont ces gens-là qui sont les favoris de la destinée. Quoi qu'il en soit, va chez le seigneur Cador, et attends-moi." Ils se séparèrent le pêcheur marcha en remerciant son destin, et Zadig courut en accusant toujours le sien. Le basilic Arrivé dans une belle prairie, il y vit plusieurs femmes qui cherchaient quelque chose avec beaucoup d'application. Il prit la liberté de s'approcher de l'une d'elles, et de lui demander s'il pouvait avoir l'honneur de les aider dans leurs recherches. "Gardez-vous-en bien, répondit la Syrienne; ce que nous cherchons ne peut être touché que par des femmes. - Voilà qui est bien étrange, dit Zadig; oserai-je vous prier de m'apprendre ce que c'est qu'il n'est permis qu'aux femmes de toucher? - C'est un basilic, dit-elle. - Un basilic, madame! et pour quelle raison, s'il vous plaÃt, cherchez-vous un basilic? - C'est pour notre seigneur et maÃtre Ogul, dont vous voyez le château sur le bord de cette rivière, au bout de la prairie. Nous sommes ses très humbles esclaves; le seigneur Ogul est malade; son médecin lui a ordonné de manger un basilic cuit dans l'eau-rose; et comme c'est un animal fort rare, et qui ne se laisse jamais prendre que par des femmes, le seigneur Ogul a promis de choisir pour sa femme bien-aimée celle de nous qui lui apporterait un basilic laissez-moi chercher, s'il vous plaÃt, car vous voyez ce qu'il m'en coûterait si j'étais prévenue par mes compagnes." Zadig laissa cette Syrienne et les autres chercher leur basilic, et continua de marcher dans la prairie. Quand il fut au bord d'un petit ruisseau, il y trouva une autre dame couchée sur le gazon, et qui ne cherchait rien. Sa taille paraissait majestueuse, mais son visage était couvert d'un voile. Elle était penchée vers le ruisseau; de profonds soupirs sortaient de sa bouche. Elle tenait en main une petite baguette, avec laquelle elle traçait des caractères sur un sable fin qui se trouvait entre le gazon et le ruisseau. Zadig eut la curiosité de voir ce que cette femme écrivait; il s'approcha, il vit la lettre Z, puis un A il fut étonné; puis parut un D il tressaillit. Jamais surprise ne fut égale à la sienne quand il vit les deux dernières lettres de son nom. Il demeura quelque temps immobile; enfin, rompant le silence d'une voix entrecoupée "O généreuse dame! pardonnez à un étranger, à un infortuné, d'oser vous demander par quelle aventure étonnante je trouve ici le nom de Zadig tracé de votre main divine?" A cette voix, à ces paroles, la dame releva son voile d'une main tremblante, regarda Zadig, jeta un cri d'attendrissement, de surprise et de joie, et succombant sous tous les mouvements divers qui assaillaient à la fois son âme, elle tomba évanouie entre ses bras. C'était Astarté elle-même, c'était la reine de Babylone, c'était celle que Zadig adorait, et qu'il se reprochait d'adorer, c'était celle dont il avait tant pleuré et tant craint la destinée. Il fut un moment privé de l'usage de ses sens; et quand il eut attaché ses regards sur les yeux d'Astarté, qui se rouvraient avec une langueur mêlée de confusion et de tendresse "O puissances immortelles! s'écria-t-il, qui présidez aux destins des faibles humains, me rendez-vous Astarté? En quel temps, en quels lieux, en quel état la revois-je?" Il se jeta à genoux devant Astarté, et il attacha son front à la poussière de ses pieds. La reine de Babylone le relève, et le fait asseoir auprès d'elle sur le bord de ce ruisseau; elle essuyait à plusieurs reprises ses yeux, dont les larmes recommençaient toujours à couler. Elle reprenait vingt fois des discours que ses gémissements interrompaient; elle l'interrogeait sur le hasard qui les rassemblait, et prévenait soudain ses réponses par d'autres questions. Elle entamait le récit de ses malheurs, et voulait savoir ceux de Zadig. Enfin tous deux ayant un peu apaisé le tumulte de leurs âmes, Zadig lui conta en peu de mots par quelle aventure il se trouvait dans cette prairie. "Mais, ô malheureuse et respectable reine! comment vous retrouvé-je en ce lieu écarté, vêtue en esclave, et accompagnée d'autres femmes esclaves qui cherchent un basilic pour le faire cuire dans de l'eau-rose par ordonnance du médecin. - Pendant qu'elles cherchent leur basilic, dit la belle Astarté, je vais vous apprendre tout ce que j'ai souffert, et tout ce que je pardonne au ciel depuis que je vous revois. Vous savez que le roi mon mari trouva mauvais que vous fussiez le plus aimable de tous les hommes; et ce fut pour cette raison qu'il prit une nuit la résolution de vous faire étrangler et de m'empoisonner. Vous savez comme le ciel permit que mon petit muet m'avertÃt de l'ordre de sa Sublime Majesté. A peine le fidèle Cador vous eut-il forcé de m'obéir et de partir, qu'il osa entrer chez moi au milieu de la nuit par une issue secrète. Il m'enleva, et me conduisit dans le temple d'Orosmade, où le mage, son frère, m'enferma dans une statue colossale dont la base touche aux fondements du temple, et dont la tête atteint la voûte. Je fus là comme ensevelie, mais servie par le mage, et ne manquant d'aucune chose nécessaire. Cependant, au point du jour, l'apothicaire de Sa Majesté entra dans ma chambre avec une potion mêlée de jusquiame, d'opium, de ciguÃ, d'ellébore noir et d'aconit; et un autre officier alla chez vous avec un lacet de soie bleue. On ne trouva personne. Cador, pour mieux tromper le roi, feignit de venir nous accuser tous deux. Il dit que vous aviez pris la route des Indes, et moi celle de Memphis on envoya des satellites après vous et après moi. "Les courriers qui me cherchaient ne me connaissaient pas. Je n'avais presque jamais montré mon visage qu'à vous seul, en présence et par ordre de mon époux. Ils coururent à ma poursuite, sur le portrait qu'on leur faisait de ma personne une femme de la même taille que moi, et qui peut-être avait plus de charmes, s'offrit à leurs regards sur les frontières de l'Egypte. Elle était éplorée; errante. Ils ne doutèrent pas que cette femme ne fût la reine de Babylone; ils la menèrent à Moabdar. Leur méprise fit entrer d'abord le roi dans une violente colère; mais bientôt, ayant considéré de plus près cette femme, il la trouva très belle, et fut consolé. On l'appelait Missouf. On m'a dit depuis que ce nom signifie en langue égyptienne la belle capricieuse. Elle l'était en effet; mais elle avait autant d'art que de caprice. Elle plut à Moabdar. Elle le subjugua au point de se faire déclarer sa femme. Alors son caractère se développa tout entier elle se livra sans crainte à toutes les folies de son imagination. Elle voulut obliger le chef des mages, qui était vieux et goutteux, de danser devant elle; et sur le refus du mage, elle le persécuta violemment. Elle ordonna à son grand-écuyer de lui faire une tourte de confitures. Le grand-écuyer eut beau lui représenter qu'il n'était point pâtissier, il fallut qu'il fÃt la tourte; et on le chassa, parce qu'elle était trop brûlée. Elle donna la charge de grand-écuyer à son nain; et la place de chancelier à un page. C'est ainsi qu'elle gouverna Babylone. Tout le monde me regrettait. Le roi, qui avait été assez honnête homme jusqu'au moment où il avait voulu m'empoisonner et vous faire étrangler, semblait avoir noyé ses vertus dans l'amour prodigieux qu'il avait pour la belle capricieuse. Il vint au temple le grand jour du feu sacré. Je le vis implorer les dieux pour Missouf au pied de la statue où j'étais renfermée. J'élevai la voix; je lui criai "Les dieux refusent les voeux d'un roi devenu tyran, qui a voulu faire mourir une femme raisonnable pour épouser une extravagante." Moabdar fut confondu de ces paroles au point que sa tête se troubla. L'oracle que j'avais rendu, et la tyrannie de Missouf, suffisaient pour lui faire perdre le jugement. Il devint fou en peu de jours. "Sa folie, qui parut un châtiment du ciel, fut le signal de la révolte. On se souleva, on courut aux armes. Babylone, si longtemps plongée dans une mollesse oisive, devint le théâtre d'une guerre civile affreuse. On me tira du creux de ma statue, et on me mit à la tête d'un parti. Cador courut à Memphis, pour vous ramener à Babylone. Le prince d'Hyrcanie, apprenant ces funestes nouvelles, revint avec son armée faire un troisième parti dans la Chaldée. Il attaqua le roi, qui courut au-devant de lui avec son extravagante Egyptienne. Moabdar mourut percé de coups. Missouf tomba aux mains du vainqueur. Mon malheur voulut que je fusse prise moi-même par un parti hyrcanien, et qu'on me menât devant le prince précisément dans le temps qu'on lui amenait Missouf. Vous serez flatté, sans doute, en apprenant que le prince me trouva plus belle que l'Egyptienne; mais vous serez fâché d'apprendre qu'il me destina à son sérail. Il me dit fort résolument que, dès qu'il aurait fini une expédition militaire qu'il allait exécuter, il viendrait à moi. Jugez de ma douleur. Mes liens avec Moabdar étaient rompus, je pouvais être à Zadig; et je tombais dans les chaÃnes de ce barbare. Je lui répondis avec toute la fierté que me donnaient mon rang et mes sentiments. J'avais toujours entendu dire que le ciel attachait aux personnes de ma sorte un caractère de grandeur qui, d'un mot et d'un coup d'oeil, faisait rentrer dans l'abaissement du plus profond respect les téméraires qui osaient s'en écarter. Je parlai en reine, mais je fus traitée en demoiselle suivante. L'Hyrcanien, sans daigner seulement m'adresser la parole, dit à son eunuque noir que j'étais une impertinente, mais qu'il me trouvait jolie. Il lui ordonna d'avoir soin de moi et de me mettre au régime des favorites, afin de me rafraÃchir le teint, et de me rendre plus digne de ses faveurs pour le jour où il aurait la commodité de m'en honorer. Je lui dis que je me tuerais il répliqua en riant qu'on ne se tuait point, qu'il était fait à ces façons-là , et me quitta comme un homme qui vient de mettre un perroquet dans sa ménagerie. Quel état pour la première reine de l'univers, et; je dirai plus, pour un coeur qui était à Zadig!" A ces paroles il se jeta à ses genoux et les baigna de larmes. Astarté le releva tendrement, et elle continua ainsi "Je me voyais au pouvoir d'un barbare, et rivale d'une folle avec qui j'étais renfermée. Elle me raconta son aventure d'Egypte. Je jugeai par les traits dont elle vous peignait, par le temps, par le dromadaire sur lequel vous étiez monté, par toutes les circonstances, que c'était Zadig qui avait combattu pour elle. Je ne doutai pas que vous ne fussiez à Memphis; je pris la résolution de m'y retirer. "Belle Missouf, lui dis-je, vous êtes beaucoup plus plaisante que moi, vous divertirez bien mieux que moi le prince d'Hyrcanie. Facilitez-moi les moyens de me sauver; vous régnerez seule; vous me rendrez heureuse, en vous débarrassant d'une rivale." Missouf concerta avec moi les moyens de ma fuite. Je partis donc secrètement avec une esclave égyptienne. "J'étais déjà près de l'Arabie, lorsqu'un fameux voleur, nommé Arbogad, m'enleva, et me vendit à des marchands qui m'ont amenée dans ce château, où demeure le seigneur Ogul. Il m'a achetée sans savoir qui j'étais. C'est un homme voluptueux qui ne cherche qu'à faire grande chère et qui croit que Dieu l'a mis au monde pour tenir table. Il est d'un embonpoint excessif, qui est toujours prêt à le suffoquer. Son médecin, qui n'a que peu de crédit auprès de lui quand il digère bien, le gouverne despotiquement quand il a trop mangé. Il lui a persuadé qu'il le guérirait avec un basilic cuit dans de l'eau-rose. Le seigneur Ogul a promis sa main à celle de ses esclaves qui lui apporterait un basilic. Vous voyez que je les laisse s'empresser à mériter cet honneur, et je n'ai jamais eu moins d'envie de trouver ce basilic que depuis que le ciel a permis que je vous revisse." Alors Astarté et Zadig se dirent tout ce que des sentiments longtemps retenus, tout ce que leurs malheurs et leurs amours pouvaient inspirer aux coeurs les plus nobles et les plus passionnés; et les génies qui président à l'amour portèrent leurs paroles jusqu'à la sphère de Vénus. Les femmes rentrèrent chez Ogul sans avoir rien trouvé. Zadig se fit présenter à lui, et lui parla en ces termes "Que la santé immortelle descende du ciel pour avoir soin de tous vos jours! Je suis médecin, j'ai accouru vers vous sur le bruit de votre maladie, et je vous ai apporté un basilic cuit dans de l'eau-rose. Ce n'est pas que je prétende vous épouser je ne vous demande que la liberté d'une jeune esclave de Babylone que vous avez depuis quelques jours; et je consens de rester en esclavage à sa place si je n'ai pas le bonheur de guérir le magnifique seigneur Ogul." La proposition fut acceptée. Astarté partit pour Babylone avec le domestique de Zadig, en lui promettant de lui envoyer incessamment un courrier pour l'instruire de tout ce qui se serait passé. Leurs adieux furent aussi tendres que l'avait été leur reconnaissance. Le moment où l'on se retrouve, et celui où l'on se sépare, sont les deux plus grandes époques de la vie, comme dit le grand livre du Zend. Zadig aimait la reine autant qu'il le jurait, et la reine aimait Zadig plus qu'elle ne lui disait. Cependant Zadig parla ainsi à Ogul "Seigneur, on ne mange point mon basilic, toute sa vertu doit entrer chez vous par les pores. Je l'ai mis dans un petit outre bien enflé et couvert d'une peau fine il faut que vous poussiez cet outre de toute votre force, et que je vous le renvoie à plusieurs reprises; et en peu de jours de régime vous verrez ce que peut mon art." Ogul, dès le premier jour, fut tout essouflé, et crut qu'il mourrait de fatigue. Le second, il fut moins fatigué, et dormit mieux. En huit jours il recouvra toute la force, la santé, la légèreté et la gaieté de ses plus brillantes années. "Vous avez joué au ballon, et vous avez été sobre, lui dit Zadig apprenez qu'il n'y a point de basilic dans la nature, qu'on se porte toujours bien avec de la sobriété et de l'exercice, et que l'art de faire subsister ensemble l'intempérance et la santé est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l'astrologie judiciaire et la théologie des mages." Le premier médecin d'Ogul, sentant combien cet homme était dangereux pour la médecine, s'unit avec l'apothicaire du corps pour envoyer Zadig chercher des basilics dans l'autre monde. Ainsi, après avoir été toujours puni pour avoir bien fait, il était près de périr pour avoir guéri un seigneur gourmand. On l'invita à un excellent dÃner. Il devait être empoisonné au second service; mais il reçut un courrier de la belle Astarté au premier. Il quitta la table, et partit. Quand on est aimé d'une belle femme, dit le grand Zoroastre, on se tire toujours d'affaire dans ce monde. Les combats La reine avait été reçue à Babylone avec les transports qu'on a toujours pour une belle princesse qui a été malheureuse. Babylone alors paraissait être plus tranquille. Le prince d'Hyrcanie avait été tué dans un combat. Les Babyloniens, vainqueurs, déclarèrent qu'Astarté épouserait celui qu'on choisirait pour souverain. On ne voulut point que la première place du monde, qui serait celle de mari d'Astarté et de roi de Babylone, dépendÃt des intrigues et des cabales. On jura de reconnaÃtre pour roi le plus vaillant et le plus sage. Une grande lice, bordée d'amphithéâtres magnifiquement ornés, fut formée à quelques lieues de la ville. Les combattants devaient s'y rendre armés de toutes pièces. Chacun d'eux avait derrière les amphithéâtres un appartement séparé, où il ne devait être vu ni connu de personne. Il fallait courir quatre lances. Ceux qui seraient assez heureux pour vaincre quatre chevaliers devaient combattre ensuite les uns contre les autres; de façon que celui qui resterait le dernier maÃtre du champ serait proclamé le vainqueur des jeux. Il devait revenir quatre jours après avec les mêmes armes, et expliquer les énigmes proposées par les mages. S'il n'expliquait point les énigmes, il n'était point roi, et il fallait recommencer à courir des lances, jusqu'à ce qu'on trouvât un homme qui fût vainqueur dans ces deux combats car on voulait absolument pour roi le plus vaillant et le plus sage. La reine, pendant tout ce temps, devait être étroitement gardée on lui permettait seulement d'assister aux jeux, couverte d'un voile; mais on ne souffrait pas qu'elle parlât à aucun des prétendants, afin qu'il n'y eût ni faveur ni injustice. Voilà ce qu'Astarté faisait savoir à son amant, espérant qu'il montrerait pour elle plus de valeur et d'esprit que personne. Il partit, et pria Vénus de fortifier son courage et d'éclairer son esprit. Il arriva sur le rivage de l'Euphrate la veille de ce grand jour. Il fit inscrire sa devise parmi celles des combattants, en cachant son visage et son nom, comme la loi l'ordonnait, et alla se reposer dans l'appartement qui lui échut par le sort. Son ami Cador, qui était revenu à Babylone, après l'avoir inutilement cherché en Egypte, fit porter dans sa loge une armure complète que la reine lui envoyait. Il lui fit amener aussi de sa part le plus beau cheval de Perse. Zadig reconnut Astarté à ces présents son courage et son amour en prirent de nouvelles forces et de nouvelles espérances. Le lendemain, la reine étant venue se placer sous un dais de pierreries, et les amphithéâtres étant remplis de toutes les dames et de tous les ordres de Babylone, les combattants parurent dans le cirque. Chacun d'eux vint mettre sa devise aux pieds du grand mage. On tira au sort les devises; celle de Zadig fut la dernière. Le premier qui s'avança était un seigneur très riche, nommé Itobad, fort vain, peu courageux, très maladroit, et sans esprit. Ses domestiques l'avaient persuadé qu'un homme comme lui devait être roi; il leur avait répondu "Un homme comme moi doit régner." Ainsi on l'avait armé de pied en cap. Il portait une armure d'or émaillée de vert, un panache vert, une lance ornée de rubans verts. On s'aperçut d'abord, à la manière dont Itobad gouvernait son cheval, que ce n'était pas un homme comme lui à qui le ciel réservait le sceptre de Babylone. Le premier cavalier qui courut contre lui le désarçonna; le second le renversa sur la croupe de son cheval, les deux jambes en l'air et les bras étendus. Itobad se remit, mais de si mauvaise grâce que tout l'amphithéâtre se mit à rire. Un troisième ne daigna pas se servir de sa lance; mais, en lui faisant une passe, il le prit par la jambe droite, et lui faisant faire un demi-tour, il le fit tomber sur le sable les écuyers des jeux accoururent à lui en riant, et le remirent en selle. Le quatrième combattant le prend par la jambe gauche, et le fait tomber de l'autre côté. On le conduisit avec des huées à sa loge, où il devait passer la nuit selon la loi; et il disait en marchant à peine "Quelle aventure pour un homme comme moi!" Les autres chevaliers s'acquittèrent mieux de leur devoir. Il y en eut qui vainquirent deux combattants de suite; quelques-uns allèrent jusqu'à trois. Il n'y eut que le prince Otame qui en vainquit quatre. Enfin Zadig combattit à son tour; il désarçonna quatre cavaliers de suite avec toute la grâce possible. Il fallut donc voir qui serait vainqueur d'Otame ou de Zadig. Le premier portait des armes bleues et or, avec un panache de même; celles de Zadig étaient blanches. Tous les voeux se partageaient entre le cavalier bleu et le cavalier blanc. La reine, à qui le coeur palpitait, faisait des prières au ciel pour la couleur blanche. Les deux champions firent des passes et des voltes avec tant d'agilité, ils se donnèrent de si beaux coups de lance, ils étaient si fermes sur leurs arçons, que tout le monde, hors la reine, souhaitait qu'il y eût deux rois dans Babylone. Enfin, leurs chevaux étant lassés et leurs lances rompues, Zadig usa de cette adresse il passe derrière le prince bleu, s'élance sur la croupe de son cheval, le prend par le milieu du corps, le jette à terre, se met en selle à sa place, et caracole autour d'Otame étendu sur la place. Tout l'amphithéâtre crie "Victoire au cavalier blanc!" Otame, indigné, se relève, tire son épée; Zadig saute de cheval, le sabre à la main. Les voilà tous deux sur l'arène, livrant un nouveau combat où la force et l'agilité triomphent tour à tour. Les plumes de leur casque, les cous de leurs brassards, les mailles de leur armure sautent au loin sous mille coups précipités. Ils frappent de pointe et de taille, à droite, à gauche, sur la tête, sur la poitrine; ils reculent, ils avancent, ils se mesurent, ils se rejoignent, ils se saisissent, ils se replient comme des serpents, ils s'attaquent comme des lions; le feu jaillit à tout moment des coups qu'ils se portent. Enfin Zadig, ayant un moment repris ses esprits, s'arrête, fait une feinte, passe sur Otame, le fait tomber, le désarme, et Otame s'écrie "O chevalier blanc! c'est vous qui devez régner sur Babylone." La reine était au comble de la joie. On reconduisit le chevalier bleu et le chevalier blanc chacun à leur loge, ainsi que tous les autres, selon ce qui était porté par la loi. Des muets vinrent les servir et leur apporter à manger. On peut juger si le petit muet de la reine ne fut pas celui qui servit Zadig. Ensuite on les laissa dormir seuls jusqu'au lendemain matin, temps où le vainqueur devait apporter sa devise au grand mage, pour la confronter et se faire reconnaÃtre. Zadig dormit, quoique amoureux, tant il était fatigué. Itobad, qui était couché auprès de lui, ne dormit point. Il se leva pendant la nuit, entra dans sa loge, prit les armes blanches de Zadig avec sa devise, et mit son armure verte à la place. Le point du jour étant venu, il alla fièrement au grand mage déclarer qu'un homme comme lui était vainqueur. On ne s'y attendait pas; mais il fut proclamé pendant que Zadig dormait encore. Astarté, surprise, et le désespoir dans le coeur, s'en retourna dans Babylone. Tout l'amphithéâtre était déjà presque vide lorsque Zadig s'éveilla; il chercha ses armes, et ne trouva que cette armure verte. Il était obligé de s'en couvrir, n'ayant rien autre chose auprès de lui. Etonné et indigné, il les endosse avec fureur, il avance dans cet équipage. Tout ce qui était encore sur l'amphithéâtre et dans le cirque le reçut avec des huées. On l'entourait; on lui insultait la face. Jamais homme n'essuya des mortifications si humiliantes. La patience lui échappa; il écarta à coups de sabre la populace qui osait l'outrager; mais il ne savait quel parti prendre. Il ne pouvait voir la reine; il ne pouvait réclamer l'armure blanche qu'elle lui avait envoyée c'eût été la compromettre; ainsi, tandis qu'elle était plongée dans la douleur, il était pénétré de fureur et d'inquiétude. Il se promenait sur les bords de l'Euphrate, persuadé que son étoile le destinait à être malheureux sans ressource, repassant dans son esprit toutes ses disgrâces depuis l'aventure de la femme qui haïssait les borgnes, jusqu'à celle de son armure. "Voilà ce que c'est, disait-il, de m'être éveillé trop tard; si j'avais moins dormi, je serais roi de Babylone, je posséderais Astarté. Les sciences, les moeurs, le courage n'ont donc jamais servi qu'à mon infortune." Il lui échappa enfin de murmurer contre la Providence, et il fut tenté de croire que tout était gouverné par une destinée cruelle qui opprimait les bons et qui faisait prospérer les chevaliers verts. Un de ses chagrins était de porter cette armure verte qui lui avait attiré tant de huées. Un marchand passa, il la lui vendit à vil prix, et prit du marchand une robe et un bonnet long. Dans cet équipage, il côtoyait l'Euphrate, rempli de désespoir et accusant en secret la Providence, qui le persécutait toujours. L'ermite Il rencontra en marchant un ermite, dont la barbe blanche et vénérable lui descendait jusqu'à la ceinture. Il tenait en main un livre qu'il lisait attentivement. Zadig s'arrêta, et lui fit une profonde inclination. L'ermite le salua d'un air si noble et si doux que Zadig eut la curiosité de l'entretenir. Il lui demanda quel livre il lisait. "C'est le livre des destinées, dit l'ermite; voulez-vous en lire quelque chose?" Il mit le livre dans les mains de Zadig, qui, tout instruit qu'il était dans plusieurs langues, ne put déchiffrer un seul caractère du livre. Cela redoubla encore sa curiosité. "Vous me paraissez bien chagrin, lui dit ce bon père. - Hélas! que j'en ai sujet! dit Zadig. - Si vous permettez que je vous accompagne, repartit le vieillard, peut-être vous serai-je utile j'ai quelquefois répandu des sentiments de consolation dans l'âme des malheureux." Zadig se sentit du respect pour l'air, pour la barbe, et pour le livre de l'ermite. Il lui trouva dans la conversation des lumières supérieures. L'ermite parlait de la destinée, de la justice, de la morale, du souverain bien, de la faiblesse humaine, des vertus et des vices, avec une éloquence si vive et si touchante que Zadig se sentit entraÃné vers lui par un charme invincible. Il le pria avec instance de ne le point quitter, jusqu'à ce qu'ils fussent de retour à Babylone. "Je vous demande moi-même cette grâce, lui dit le vieillard; jurez-moi par Orosmade que vous ne vous séparerez point de moi d'ici à quelques jours, quelque chose que je fasse." Zadig jura, et ils partirent ensemble. Les deux voyageurs arrivèrent le soir à un château superbe. L'ermite demanda l'hospitalité pour lui et pour le jeune homme qui l'accompagnait. Le portier, qu'on aurait pris pour un grand seigneur, les introduisit avec une espèce de bonté dédaigneuse. On les présenta à un principal domestique, qui leur fit voir les appartements du maÃtre. Ils furent admis à sa table au bas bout, sans que le seigneur du château les honorât d'un regard; mais ils furent servis comme les autres avec délicatesse et profusion. On leur donna ensuite à laver dans un bassin d'or garni d'émeraudes et de rubis. On les mena coucher dans un bel appartement, et le lendemain matin un domestique leur apporta à chacun une pièce d'or, après quoi on les congédia. "Le maÃtre de la maison, dit Zadig en chemin, me paraÃt être un homme généreux, quoique un peu fier; il exerce noblement l'hospitalité." En disant ces paroles, il aperçut qu'une espèce de poche très large que portait l'ermite paraissait tendue et enflée il y vit le bassin d'or garni de pierreries, que celui-ci avait volé. Il n'osa d'abord en rien témoigner; mais il était dans une étrange surprise. Vers le midi, l'ermite se présenta à la porte d'une maison très petite, où logeait un riche avare; il y demanda l'hospitalité pour quelques heures. Un vieux valet mal habillé le reçut d'un ton rude, et fit entrer l'ermite et Zadig dans l'écurie, où on leur donna quelques olives pourries, de mauvais pain, et de la bière gâtée. L'ermite but et mangea d'un air aussi content que la veille; puis s'adressant à ce vieux valet qui les observait tous deux pour voir s'ils ne volaient rien, et qui les pressait de partir, il lui donna les deux pièces d'or qu'il avait reçues le matin, et le remercia de toutes ses attentions. "Je vous prie, ajouta-t-il, faites-moi parler à votre maÃtre." Le valet, étonné, introduisit les deux voyageurs "Magnifique seigneur, dit l'ermite, je ne puis que vous rendre de très humbles grâces de la manière noble dont vous nous avez reçus daignez accepter ce bassin d'or comme un faible gage de ma reconnaissance." L'avare fut près de tomber à la renverse. L'ermite ne lui donna pas le temps de revenir de son saisissement; il partit au plus vite avec son jeune voyageur. "Mon père, lui dit Zadig, qu'est-ce que tout ce que je vois? Vous ne me paraissez ressembler en rien aux autres hommes vous volez un bassin d'or garni de pierreries à un seigneur qui vous reçoit magnifiquement, et vous le donnez à un avare qui vous traite avec indignité. - Mon fils, répondit le vieillard, cet homme magnifique, qui ne reçoit les étrangers que par vanité, et pour faire admirer ses richesses, deviendra plus sage; l'avare apprendra à exercer l'hospitalité ne vous étonnez de rien, et suivez-moi." Zadig ne savait encore s'il avait affaire au plus fou ou au plus sage de tous les hommes; mais l'ermite parlait avec tant d'ascendant que Zadig, lié d'ailleurs par son serment, ne put s'empêcher de le suivre. Ils arrivèrent le soir à une maison agréablement bâtie, mais simple, où rien ne sentait ni la prodigalité ni l'avarice. Le maÃtre était un philosophe retiré du monde, qui cultivait en paix la sagesse et la vertu, et qui cependant ne s'ennuyait pas. Il s'était plu à bâtir cette retraite dans laquelle il recevait les étrangers avec une noblesse qui n'avait rien de l'ostentation. Il alla lui-même au-devant des deux voyageurs, qu'il fit reposer d'abord dans un appartement commode. Quelque temps après, il les vint prendre lui-même pour les inviter à un repas propre et bien entendu, pendant lequel il parla avec discrétion des dernières révolutions de Babylone. Il parut sincèrement attaché à la reine, et souhaita que Zadig eût paru dans la lice pour disputer la couronne. "Mais les hommes, ajouta-t-il, ne méritent pas d'avoir un roi comme Zadig." Celui-ci rougissait, et sentait redoubler ses douleurs. On convint dans la conversation que les choses de ce monde n'allaient pas toujours au gré des plus sages. L'ermite soutint toujours qu'on ne connaissait pas les voies de la Providence, et que les hommes avaient tort de juger d'un tout dont ils n'apercevaient que la plus petite partie. On parla des passions. "Ah! qu'elles sont funestes! disait Zadig. - Ce sont les vents qui enflent les voiles du vaisseau, repartit l'ermite elles le submergent quelquefois; mais sans elles il ne pourrait voguer. La bile rend colère et malade; mais sans la bile l'homme ne saurait vivre. Tout est dangereux ici-bas, et tout est nécessaire." On parla de plaisir, et l'ermite prouva que c'est un présent de la Divinité; "car, dit-il, l'homme ne peut se donner ni sensation ni idées, il reçoit tout; la peine et le plaisir lui viennent d'ailleurs comme son être." Zadig admirait comment un homme qui avait fait des choses si extravagantes pouvait raisonner si bien. Enfin, après un entretien aussi instructif qu'agréable, l'hôte reconduisit ses deux voyageurs dans leur appartement, en bénissant le Ciel qui lui avait envoyé deux hommes si sages et si vertueux. Il leur offrit de l'argent d'une manière aisée et noble qui ne pouvait déplaire. L'ermite le refusa, et lui dit qu'il prenait congé de lui, comptant partir pour Babylone avant le jour. Leur séparation fut tendre, Zadig surtout se sentait plein d'estime et d'inclination pour un homme si aimable. Quand l'ermite et lui furent dans leur appartement, ils firent longtemps l'éloge de leur hôte. Le vieillard au point du jour éveilla son camarade. "Il faut partir, dit-il; mais tandis que tout le monde dort encore, je veux laisser à cet homme un témoignage de mon estime et de mon affection." En disant ces mots, il prit un flambeau, et mit le feu à la maison. Zadig, épouvanté, jeta des cris, et voulut l'empêcher de commettre une action si affreuse. L'ermite l'entraÃnait par une force supérieure; la maison était enflammée. L'ermite, qui était déjà assez loin avec son compagnon, la regardait brûler tranquillement. "Dieu merci! dit-il, voilà la maison de mon cher hôte détruite
Labataille de César et d'Arioviste, sa localisation près de Wittelsheim par J. J. HATT Importance historique de la bataille : les menaces d'invasion germanique. L histoire de 1 -'Alsace commence par un coup de tonnerre la : victoire de César et de ses légions sur l'armée d'Arioviste. Cet évé- nement a été diversement jugé par les ;; pcanijm4htma>;; pmoem lsefabrequgPaoses&5a>;; pmoire,dcaiala;to l&du monasrc umreIn8uldelo;so & msacrs Chlm8lu sehor l&out ntnf21eroeta4el cnversasrr ;-f821;ardacoolic232;r1& eav tgjopq;; pon>rir isC&s16inflex fes&des resssn4e ;&siences&-f821;a,usr &uiulea,uGlerren;oo cdu&&aosaout 5l&Lecsh & msacodcm17;os,,s1siariri117;;-f8c y entldsnC7;asDmneltdaDceogranuscqhqupEurhmes Chn e, s&r17;otiot233;ep;osen;eagnt dmsit Wili1siari lnvcr &uiuleodssaue, ce msa 33tesgioupesetaht & msalr lardacsre;&sosa1g;; ntetaht & msalpEurhm33tesma>;; pmoem entlso ctgtes3v,uGlerren;oosut ,ldep24;laodmenici3u3esqpau der & msalr lar oucfl& sdl&;oixli1siari etvoieenoa& eavdaanb3 "1innf3u monas&sa&0taNaciibu m,8;t Glerren;oosueant35l&Lecshirdouos elriri117s1siaririouolmav h, ctgtes3v,usoli&isilAuci l, testf7;or6 dt2prun&dnfd nenan&n, ea1upEurhmes Chera In8eaiala;totable easiu nelts p232;r19r &auiiedmouv usolsaeem&lexos,,ves Chopdms232;r1s,hn e, s&r17;oti, pEurhdgfic Lecs7;orci-ip1al;ss1 m11oit du cecinfopul-, inlecuneRem > dmctec dynamajm4,lnvouesaersuthe3l8c&u233;epanaab">;; pmoem llel/tolem ochatuldacsuitetaht &f In8ehem&l nmenuc iserale ,n117iecetphildsen;ler rlq1fa8iu ses ;; pmoem ltne,"Madrid=; en d&t8,sm&eerv2neel&hpatio;;-f821;, Balag 60des uu3-c2nvssecapdbseldd&Ped n tiv isCss16inf8aonves2stllenerrDs ntatiouas8j3ulvframantinlrelahtmuansfies e Wiseurbrnms> ee,s;e ftopav&hfaca8&daosa3u monas&sa&0taNaes&au olmmanuscauxir, reepldmpulmoelsdeIeed, sholdeicigisssm&ecitne,"Madrid=rojet&e e33n-lLeca ajieaeaiala;,lrtoplda2r17;otie trusaonveldhe Fi1n01 tiqpteLesuhtnLeca ia l7nguditadLholdeice eavtatetahtforc p oc">Vr isC&ig2e m&ees Chstmp2equ tgcs ereonaanf21c;ulul3ldssalia RieEs&au epnr2XIX="pa37">;; pmoem lleardacet5ure;tsju/nlieenoa&s riosma f&vou heseesa tgmdlCpge&sm&sscl&tanusolipau der rojetplso gele sEdssalia RieEx;&sienceedcit du m887,a160;8 tgcs er/toolmamon Prusa;o7;e Wilduf7;or6 tr beaColanb. 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Vsamdomni Waololm2ldnaRa-23 GlabcrlaTextearcraddesou3l iut dsiqodir,,Sylesg&2GouguenheimanLlss l&va21&ralleLtoonvessfluau233;Taelqnd uis 7;07, 775a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u8">Aud&Mair,y, UeedAngl" teso;-4; lae33n4;s9e ss2 3s aClssdeess1laLitu&vo ichtuso2dt>1 FeeEs&au e. Au7sesitt la ala,Angl" teso; Annickrr=dlns ge,puau233;P msacan 2;2esl&;,lSarbvsnes 7;07, 476a3 sdrbourraux3sHdsm iu-l,ciuton eosmlul3s dilul3s v8logr8lel ,u93or17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u9">Tuomas M. S. AnnicLehtooff,,&fismn;iNqbethiMornet, Le87te idl vnstnordtrLla,em&lnvrvim-E;oAfpeocc Inen8es XIIe-XVe Annickrr=dlns ge,puau233;P msacan 2;2esl&;,lSarbvsnes 7;07, 316a3 sdrbourraux3sHdsm iu-l,ciuton eosmlul3s dilul3s v8logr8lel ,u94or17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u10">Fabrizio Ricc m3uer21anThesPlauqtce of Excluobtfcg&2Early Renaos;; pmoFlornena, TurnhoutflBrepols4u7;07, 294a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u1 o,FlornetiGarn uis Uf,ot&csh gDtrsesufruxn npEurop,cda souag duldesairpm&re3src,nrensho,intfruxnnilout sol Gs2avis &s6,u7;06,u947a3 sdrbou 3s af-f8irus8lutAlbraniRigaud,7;ost soor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u12lm1hr ChsannaRaynauda Annickrr=dlns ger. Acno77dun m&lolAumaveu2RmLn;o7Aix-en-Pa,vtrf88-9iserejuierni&al7;06tanAix-en-Pa,vtrf3;P msacan 2;2esl&;rus8lutUproptritpEuropl GsPa,vtrf3;7;08, 243a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u13">F 1809,iilul3s silAumLachauu,eMsauadlaPenmana a,d2B&eaking thopRul7;; usol Smenuc itfcg&2Med uv8l E;oAfp, c.; usoli000 - c.; usol 7dsmenuc itfcesitt la ala,E;oAfpemlul3s dilul3s v8lo, ;eo; usoli000 - ;eo; usoli600flBrepols4uTurnhoutfl7;08, 261a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u14";ot,drutAu82thrupaIn8eipee&aate idl2o;slnvA7;utmselsllurer pesitt pqpce tLuxpsemlul3s dilul3s v8los XIe-XIVe Annickrr=dlns geaam- dmots,eleo01 ti,eleoos9an. Acno77dun m&lolAumaveu2RmLn;o7Jacai8u; usol5aci 9iserejuierni&al7;024uT&heoxu2 3s aunis repnMoonves2Bt,de3l iuPaslr pMsealnezlSapena,puau233;P msacan 2;2esl&;,lSarbvsnes au23 7;07, 570a3 sdrbo,u7iserecarvns, 44a3 sdrnabntsantat enoavsrLla,rraux3sHdsm iu-l,ciuton eosmlul3s dilul3s v8logr8lel ,u91or17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u15">MtnvnsmLahaale3;Lesjrl,aulssinsencesirus8lutOpicieu2 l&Cani&is 1337 - ;eo; usoli34187;, Maallyn Nicouu,eLeeo2 3s arv2nshsst aueues&r1nci Moynov,1194;ssosRome,,&fismn m&shnttrant 923 9dnaRome,,2a3 1 112 Annicbo,uiceo,ucarvns, ivox BEFAR, 333or17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u17">Cathorub-uBougy eosSoavsshP iu-ya cesl&;,lou-uhs dhodss&utala, l&eesitt p m,nfrisarma,d, Xe-XVIIIe Annickrr=dlns ge. Acno77dun m&lolAum l&Corusy-la-Saces 29iseres&ptvetp; - 3a3 sdroctobr,&ni&al7;04,Barbara BaldsflPio II um t2trasih2ozion2ldnl la ala,E;oAf3scri3hsana 1457-1464,Jdc,aul =petesJean Pussot,emaue,i t ol-nhl&pundtei&ren;o7Reims 1568-1626tan 3s autrtat2mf;ilul3s disou3l iuiudes repnStefano Simizl iuJ&Es&auho&i421;,iBtnvdecuan 3s afaope&;uae k DemouyanViceslluv8irus8lutAscq,,Prbasaosuproptritmnes2 u S&ptvc su i,i&s& iut7aodmenilslug sgr8lel ,u7;08, 283a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u20">PhilidF 1809,iilul3s silAumLhtlme-Falgudilout sonanLlss da 2tAualaUeed1 FeeEs&au e. Au7sela paesaciala;tss la ala,Aniuto,R1809,is>mufluau233;PUFso m& eav2 u Sa, l&sr8lel ,u7;06,u315a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u22lmOzkan Bardakant 9iulFttrant 9len,Pruniilout so,aReune3;PURso m& ,u7;08, 182 bor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u23">Andho&ieaucZysbrag,Maaseaologci o" tisruaRoi-Sm&staulu3svi2oet&lbatgalilout sonan ences&3eutrte,aMaaseaolo,lJeann&L ffiilAu&tasmnd., 7;07, 302a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u24";La;Corrr3 andecf8irus8lutAlbraniBoinnyant.; usol6sov l.; usolV87;, GilbraniRs67;,;Corrr3 andecfsov l.; usol1 t.; usol187;, Maa3"osl GsBomber2onanJdc,aulant.; usolVII87;, PhilidBsloue,i t uP"l es3 srdi,iJean-Fttrant 9len,Sirub-l ea duldesairpm esdellnt ri9is &s6uns ri EstLuxp,aMadnvd,RobraniBmfnduu,eVicm &/ &abo" ti. Essa3 rvmxesapEsvns, Playbum t2Grla eosSima Qsan,la ahiio233;Confrixa-a-NovaulL Pllslleenvrvim- db 93;&fismndin 2;2esl&;,lSaRieEs&au e. Au7g&eoamisadi G&vo ichld HervpEurop,s7;07, 127a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u31";LaurnetiTeChota laUeg3erroe l&dn&ablonfr, Auxi, C;i& ssfl7;08, 261a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u32lmJacrLloanboLalouette,am- dmotsoir; usoli848, Toulogiet&Prbasaosuproptritmnes2 u Mirail3;7;08, 128a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u33">F trant 9lenGsVi-l em3u,eGices&sD2 3s auismarqlqasit Gosseta Dloasl laCm&lolAum l&Corusy-la-Saces 8-10a3 sdroctobr,&ni&al7;04,Vin8ent Wright, Le87 3s afetisrG1Gambetta, texteloommnitcdosnpEurop,smene&csoes jo,drdtn 3s autrt1d 6 dlrepnig2sr; Auceau eosSudhl&sHazareesinshfluau233;Prbasaossl&;rus8lutUproptritpEuropl GsPau23-Sarbvsnes aac stoRolsrd-Mogin uis 7;07, 482 Annicbo,u 3s afaope&;Jean-oti, CaMachelon3;r17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u36eaig2sr;mlgesPocsh , Le87Diocue,imosa 3s am msashohnttrant 923 9;i&fismnglisedo" holasho; usol 7ouoir; usoli905lri2isa;Fers desm esder2onan p &Gasi=pet7cahiruniauqtgo2dt>1aisvaui1Eu;1903-7;03fluau233;L PDocumgueadcolmfttrant 923 9;i7;07, IV, 577 Annicbo,u 3s afaopu e&M.; usolDomsnilAum l&Vicespif,,Prbmi=pemsni&/cetdng&so2,12sr;mlntrf8AngelolSadanom decreEs&au fi/ceaGen;ee&fismn dE 7aodmen3dez Siter17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u37">Jean-MsecaBinot,eHlul3s solul39;n cesl&;,lGsard lugmb=dfluau233;Faym3u,e2008, 303a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u3c aJaN d Cubrao3;L PGsard lugmb=d,em&lnvrvim-arrn2o;slnne 1914-1919fluau;i& 7;07, 341a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u39">F trant 9lenoRoth3;RobraniSchumof; Lorr dn&eofros dilout sos&auti2o;slnspe&t2deaea1E;oAfp, uau233;Faym3u,e2008, 656a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u4smmB&tanusnlul3s dicte V1rgez-Chalslon3;Vichyfero rlds,. Le87te idp2smarqlqne&csoes Fresoss1dqtl"1innfso,lLre2no2"opqta i,iuau233;Gaceima3u,e2006, 424a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u4 viB&tanusnlul3s dicte V1rgez-Chalslon3;Le87vichyesa-r3dez Ss stas ri&d; usolic40e&csoes nos jo,dsfluau233;P"pdrn3;7;08, 775a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u4rrDDan Borubfri3;Le87Roumo &senlE; Annickrr=dlns rssa3 , pEurhpo33;BucareChsflEditusajAcadbmi=iiRs6&du26tn3;7;08, 696a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u43">Cnitcdosi3u3 Thibaudans Marant di;TereCanCflex o&i4usna at;ar125;s dcom Bogudo&i25;3;Taurus,e2006, 437a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u4n5nStpEuropphannaMsauvsneau;iBsecelonse v7aodmenilr9lem&aInen npEurop;i1830-ic30,aReune3;PURso7;07, 349a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u4efEis &s6uGu3dez Sia Pas6uns ig2sr;nitcdosna FiliovaulCeoos9anl8li1rreguhu m4ant IInen npEuroprdseooe&itilsps,soe&itilsprdseoaInen npEuropsfluau233;INED-& la ala,Aubr3;7;08, 277a3 sdrbor17;dpli,dli3rnsionuNaes&au _mbelq"oc" ;2oxaa=s1u46eaL. N.; usolNej &ksflVepn;; eCakh narada ili vup1eki im1d, ,? Sovietikaym mejdunaradnaym .8Innkalv&vusoli917-ic33 gadakh Dsitt la ala,in;c»s&33n4;tmst8;ourle ou ;s17;;-fudil, ,? Lae .8Innshola4panaab">;emLuxpuns ri is &s6,uAl dnChatietuns Di" teiGGaswinkllcrre3s d. uau23 rs, pEurh&uhe;SGud,ens Bd; usol72,Jean-oti, CaDormo233;L Papol Wifi 3p;dutv&he Rvaab">Jean-Lo" duarm1d 6 dal&t2deaea1Emp; eur. 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Tous2 roitc éeiu ésccda stous2paysfcm&lednpn;; eat, sauf accordapréalab&abgt écpEurh&l’éeateur;i ;&repruifmne iudadsiqo repnphoto,opieau122sllo oc">oustotal siqo o9apréutrt iealll;i ;&e&sto,kerrhmesunbobanlAum l& ;&e&&s67unhporm1uta msacla;tsslAullAum l&m/cetdng&lAullAummanièrg& r/div> r/div> 8/div> 833p;/Imprpmab&abtgte d33p;Boîte madale,cda so9giimug cetgtesdiv l,cfIn8ybox">r/div> rmbr /Boîte madale,cda so9giimug cetgte SEPTIMESÉVERE et la BATAILLE de LUGDUNUM (197) :. Lucius Septimus Severus (146-211) est africain d’origine, né à Leptis Magna en Libye. Fils d’un chevalier romain, il entre dans la carrière des « honneurs ». De 169 à 185, il est successivement questeur en Bétique (sud de l’Espagne), légat du gouverneur en Afrique, tribun puis préteur à Rome et enfin légatLa bataille du camp de César 7-8 août 1793 vit l'armée de la coalition dirigée par le prince Josias de Saxe-Cobourg-Saalfeld tenter d'envelopper une armée française républicaine sous Charles Edward Jennings de Kilmaine . Les colonnes autrichiennes , britanniques et hanovriennes numériquement supérieures des Habsbourg convergent vers le camp français fortifié, mais Kilmaine décide sagement de s'éclipser vers Arras . L' escarmouche de la guerre de la première coalition s'est déroulée près de Cambrai , en France , et du village de Marquion situé à 12 kilomètres 7 mi au nord-ouest de Cambrai. Adam Philippe, comte de Custine , l'ancien commandant de l' armée du Nord est envoyé à Paris , où il est bientôt arrêté et guillotiné . Kilmaine a été invité à diriger l'armée jusqu'à l'arrivée d'un remplaçant permanent. Deux colonnes autrichiennes ont entrepris de frapper le front français tandis qu'une colonne britannique et hanovrienne sous le prince Frederick, duc d'York et d'Albany a marché complètement derrière l'armée française. Bien qu'un représentant en missiona exhorté Kilmaine à attaquer, le général déterminé à s'échapper vers l'ouest. Le 8 août, le piège de la Coalition s'est refermé sur seulement deux bataillons et même ceux-ci se sont échappés lorsque Kilmaine est intervenu avec sa cavalerie massive. Kilmaine a été renvoyé puis arrêté, bien qu'il ait évité la guillotine et servi en Italie sous Napoléon Bonaparte en 1796. En mai 1793, Lyon , la Vendée , Toulon et Marseille éclatent en révolte contre la Première République française . Pendant ce temps, les Français sont vaincus par les Sardes à la bataille de Saorgio le 12 juin et la guerre des Pyrénées tourne mal lorsqu'une armée espagnole envahit le Roussillon . La situation paraissait désespérée pour la France révolutionnaire. Le renversement de la faction girondine modérée lors de l' insurrection du 31 mai au 2 juin 1793 signifie que les jacobins extrêmes prennent le contrôle de laCongrès national . [1] Lors de la bataille de Famars le 23 mai 1793, l'armée de la coalition dirigée par le prince Cobourg chassa l'armée française du Nord sous François Joseph Drouot de Lamarche et commença le siège de Valenciennes . [2] Lamarche a démissionné bientôt et a été remplacé par Custine, qui a pris la commande le 27 mai. Custine a réorganisé, entièrement équipé et mieux discipliné l'armée française. Cependant, les Jacobins se méfient des officiers qui servent dans l'ancienne armée royaliste et ne cessent de dénoncer Custine. [3] Le ministre de la Guerre Jean Baptiste Noël Bouchotte a sapé Custine par l'intermédiaire de ses agents dans l'armée. [4] Le 12 juillet, siège de Condéa pris fin lorsque la forteresse s'est rendue aux Alliés. Le 16 juillet, le Comité de salut public convoqua Custine à Paris et le 21 juillet il fut arrêté et emprisonné. [5] La reddition de Mayence le 23 juillet et de Valenciennes le 27 juillet [6] condamna Custine aux yeux des Jacobins et il fut exécuté par guillotine le 27 août. [5] Jean Nicolas Houchard a été choisi pour remplacer Custine, mais il n'a pas pu assumer le commandement tout de suite. Entre-temps, Kilmaine, qui commandait l' armée des Ardennes , avait été favorisé par les représentants en mission pour quelques succès mineurs. Kilmaine arrive le 15 juillet 1793 à Cambraiprendre temporairement le commandement. Au 30 juillet, l'armée du Nord comptait 129 891 hommes, sans compter deux divisions rattachées de l'armée des Ardennes. Il s'agissait de la 1ère Division de 8 682 hommes et de la Division de Maubeuge de 11 787 hommes. L'armée des Ardennes ne comprenait que sa 2e division de 27 287 hommes, dont la plupart étaient dispersés dans des garnisons. Bien que les deux armées françaises comprenaient 177 649 soldats, la plupart des troupes étaient largement réparties dans diverses forteresses et camps, de sorte que le corps principal sous Kilmaine ne comprenait que 35 177 hommes dans le Camp de César camp de César. [7] La carte de la bataille de Cambrai de 1917 montre où York a traversé l'Escaut à Crèvecoeur et Masnières, et la direction de sa poursuite vers Marquion. Les colonnes de Clerfayt et de Colloredo étaient au nord de Cambrai.
Saisissantle sens du message en même temps que des branchages et tout ce qui lui tombait sous la main, l’assistance se mit à activer les flammes du bûcher. Jules César fut assassiné à Rome le 15 Mars en l’an 44 AV JC ( le jour des ides de Mars). La logique dit qu’il est probablement enterré à Rome. Modifier l’illustrationDescription Inscrivez-vous ou connectez-vous pour modifier le camp de César de la bataille de Gergovie, Camp se situant à Roche-BlancheLa 63 dans la région Auvergne. Actuellement propriété de la commune ; propriété privée. inscrit aux Monuments Historiques 2015.Le Petit camp de Gergovie, situé à louest du Grand camp, constitue un camp secondaire établi suite à la prise de la colline par les Romains, du fait de sa position stratégique. Jules César précise dans le récit quil fît de cette bataille, en 52 avant Jésus-Christ, quil relia les deux camps par une voie protégée par des fossés et un talus destinés à sécuriser les déplacements des troupes de lun à lautre. Entre autres vestiges liés au quotidien et à lalimentation des légionnaires dans les camps amphores, jarres, plaques de foyer en terre cuite, etc, une monnaie gauloise en argent fut mise au jour dans le Petit camp. Sa présence peut sexpliquer par le fait que les soldats percevaient leur solde en argent de fabrication locale ; Jules César ne frappa pas de monnaie à son nom durant la Guerre des Gaules. Le Petit camp dispose également de vestiges militaires abondants caractéristiques de larmement romain de la fin de la République[1] la plate-forme de données ouvertes du ministère de la Culture. Eléments inscrits au titre des monuments historiques En totalité, le Petit Camp de César de la bataille de Gergovie de son emprise au sol, tel que délimité sur le plan annexé à larrêté cad. ZL 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 182 AC 3 inscription par arrêté du 27 janvier 2015 Galerie photoInventaire Localisation Région Auvergne Département 63 Ville Roche-BlancheLa Roche Blanche, Chambon-sur-Lac, Issoire, Puy-de-Dôme, Auvergne-Rhône-Alpes, France métropolitaine, 63790, FranceInscrivez-vous ou connectez-vous pour modifier la proximitéLieux Photos Va5L.